Université de l'État à Liège

Faculté de Philosophie et Lettres

Juillet 1979


Contradiction et vérité

Étude sur les fondements et la portée épistemologique d'une logique contradictorielle

Thèse présentée par
Lorenzo PEÑA GONZALO
pour obtenir le grade
de Docteur en Philosophie



AVANT-PROPOS

La rigueur philosophique demande une démarche unificatrice, exigeante, et qui interdit de dégarnir les flancs pour attaquer un seul problème ou groupe de problèmes. Cette rigueur philosophique constitue sans doute un pesant fardeau; elle ne connaît pas de ménagements; elle se refuse à l'indolence, aux raccourcis, aux solutions rapides de telle question particulière; elle impose une contrainte singulièrement lourde la quête consciencieuse, opiniâtre, de l'exhaustivité.

Si le sectorialisme fait des ravages dans un domaine du savoir c'est surtout en philosophie. La logique contemporaine devient de plus en plus ramifiée, complexe, variée, se dérobant de plus en plus aux tentatives de la connaître dans sa totalité d'une manière approfondie. Le logicien-philosophe doit, néanmoins, tout en s'attachant avec acharnement au labeur d'une recherche spécialisée, se livrer à une méditation systématique et poussée des principaux problèmes métaphysiques, ceux qui ont hanté notre civilisation depuis deux millénaires et demi.

Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la fondation d'une nouvelle approche qui tranche sur certaines conceptions habituelles. Une démarche qui (quoiqu'elle ait de prestigieux précédents et qu'elle essaie de glaner et systématiser des intuitions profondes mises en évidence par plusieurs philosophes depuis l'Antiquité) comporte un caractère de nouveauté plus ou moins marqué se doit, en toute honnêteté, non seulement d'apaiser. des soucis qui pourraient surgir, con cernant ses implications et répercussions pour des zones de la réflexion philosophique dont l'auteur aurait pu détourner son regard, mais, en outre, de montrer sa propre fécondité pour aborder simultanément, sans trahir les principes qu'elle se donne, un large éventail de problèmes et paradoxes philosophiques de tout premier intérêt. La seule garantie qu'une théorie philosophique peut arborer pour prouver qu'elle n'est pas une solution ad hoc pour quelque problème particulier c'est de prouver son utilité pour expliquer d'une manière satisfaisante des problèmes aussi divers que possible, le tout selon une démarche uniforme. Car, en un sens, toute théorie, philosophique ou non, est ad hoc.

Ce qu'une théorie, quelle qu'elle soit, vise à réaliser c'est de surmonter certaines difficultés. La démarche d'un théoricien est toujours donc, en quelque sorte, celle qui, de par la fécondité de certaines prémisses en conséquences épistémiquement souhaitables, conclut à la validité de ces prémisses. Cette démarche peut paraître logiquement insoutenable et elle l'est, bien sûr, dans la mesure où elle se situe sur le terrain exclusif d'un problème particulier; elle cesse, paradoxalement, d'être illicite lorsqu'on s'élève en généralité, en richesse de contenu et ampleur de problématique. Certes, la démarche, même si elle devient de ce fait plus plausible, n'est pas encore sûre, et» elle a besoin d'une justification gnoséologique (cf. à ce sujet la Section III du Livre III de cette étude).

Ce n'est pas l'évidence de principes isolés ce que le théoricien peut offrir, mais plutôt des principes, peut-être pas évidents du tout, dont découlent bien des conclusions plausibles, dans des domaines aussi divers que possible, et peu ou pas de résultats implausibles. Cette maxime est, bien entendu, vague, car la plausibilité et l'évidence sont changeantes et présentent des degrés et aspects infinis. Il n'empêche que l'on peut obtenir des approximations plus ou moins satisfaisantes de cette règle dans la pratique. Et -- nous croyons nécessaire d'y insister -- un des critères d'une bonne réussite dans l'application de la règle c'est l'absence de sectionalisme.

Si une théorie explique bien les paradoxes sur le vague et le flou, mais ne donne aucune réponse aux problèmes de l'être, de l'identité, de la nature de la vérité, de la formalisation de la logique inhérente à la langue naturelle, si, qui plus est, cette théorie-là paraît bloquer certaines solutions attrayantes dans ces autres terrains, alors la théorie est globalement peu satisfaisante.

C'est pourquoi notre démarche aurait dû constituer, pour être pleinement satisfaisante, une investigation globale de philosophia prima, synthétisant plusieurs thématiques et les faisant converger dans un seul foyer, celui de la formalisation logique de la contradiction.

Mais à la réalisation d'un projet semblable s'opposaient des considérations d'ordre pratique, ainsi que le respect des habitudes consacrées concernant l'envergure des travaux académiques. Dès lors, une grande partie des développements initialement prévus ont été retranchés du texte ici présenté. C'est pourquoi, alors que les objectifs que nous avions assignés à notre système de logique (cf. l'Introduction de cette étude) sont au nombre de vingt sept, ce n'est que pour certains d'entre. eux que nous avons démontré, plus ou moins exhaustivement, la fécondité du système A. Toutefois dans une mesure ou dans une autre, les arguments présentés dans la Section IV du Livre T, ainsi que dans les Livres Il et III rendent plausible la croyance comme quoi la plupart de ces buts peuvent être atteints au moyen de A.

Nous clôturerons cet avant-propos par quelques informations que le lecteur pourrait éventuellement vouloir con naître sur les motivations qui nous ont pousse à nous consacrer à cette étude. Notre dessein est, et a toujours été, celui de prolonger, par de nouveaux approfondissements, la philosophia perennis au sens large, ainsi que celui de synthétiser, dans le cadre d'une logique contradictorielle, des vérités mutuellement contradictoires dont divers penseurs et diverses écoles avaient eu l'intuition. Nous attacher ô ce travail a toujours été -- et demeure -- le grand but de notre vie.

Cette étude a été précédée par d'autres essais où certaines des idées ici proposées avaient déjà trouvé un premier exposé. Mais dans ces essais l'élaboration d'un système formel de logique contradictorielle restait & l'état de projet. Ce ne fut qu'en 1975 que nous abordâmes enfin, à l'Université de Liège, cette tache difficile mais impérieuse. Nous avons travaillé pendant une quarantaine de mois dans la préparation et rédaction de cette étude. Mais nous croyons devoir avertir le lecteur que les idées médullaires qui y sont contenues avaient germé dans notre esprit depuis bien des années.

Si, finalement, cette étude -- première étape dans l'accomplissement de la tâche que depuis longtemps nous nous étions assignée- voit le jour, nous le devons à tous ceux qui, par leur enseignement, leurs écrits, leurs conseils, leurs critiques, leurs encouragements chaleureux, nous ont aidé dans notre recherche. Notre principale dette est envers M. le Professeur Paul Gochet. Il n'est pas facile, en effet, d'énumérer tous les apports que nous devons au Professeur Gochet. Cette liste n'entend pas être complète:

Nous tenons à exprimer notre gratitude envers les deux autres membres de notre comité de thèse, MM. Franz Crahay et Hubert Hubien.

Nous voulons remercier effusivement le Professeur Newton C.A. da Costa, de l'Université de São Paulo, un des fondateurs de la logique paraconsistante, à qui nous sommes redevable, non seulement de tout ce que nous avons appris dans ses travaux publiés, mais aussi de ses nombreux conseils, orientations et remarques.

Des informations et commentaires utiles pour l'orientation de notre étude nous ont été aussi communiqués par Mme le Professeur Ayda Arruda, de l'Université de Campinas, par le R.P. Dominique Dubarle O.P., de l'Institut Catholique de Paris, par le Professeur P.K. Schotch, de la Dalhousie University de Canada, par le Professeur Jerzy Kotas, de l'Université de Torum, par le Professeur Tadeusz Kubinski, de l'Université de Wroclaw; par le Professeur Richard Routley, de l'Université Nationale Australienne; par M. Diego Marconi, de l'Université de Turin; par Mme le Professeur Marion L. Kuntz, présidente du Département de Langues Étrangères de Georgia State University et par M. le Professeur Paul G. Kuntz de Emory University.

Les ouvrages et travaux cités dans cette étude sont énumérés dans une liste que l'on trouvera à la fin. Le code de citation est le suivant chaque référence est constituée par une lettre capitale et un numéro réunis par deux points. La lettre fait référence à l'initiale de l'auteur de l'oeuvre (de celui dont le nom vient en tête, s'il y en a plusieurs). Nous avons pu, par ce biais, épargner au lecteur les notes en bas de page, qui sont si gênantes et distraient l'attention.

Outremeuse, le 27 janvier 1979
(Fête de saint Jean Chrysostome)


TABLE DE MATIÈRES





INTRODUCTION

Tout au long de ces dernières décennies, la nécessité d'un renouveau en philosophie de la logique s'est fait sentir d'une manière de plus en plus intense, en même temps que se développaient, avec une vigueur sans cesse croissante les recherches visant à la constitution de nouvelles logiques formelles. Mais ce n'est que ces toutes dernières années que l'importance et l'applicabilité effective aux domaines les plus divers de l'investigation d'un large éventail de logiques non classiques ont commencé à être reconnues en dehors des cercles consacrés à cultiver ces nouvelles logiques.

Un des facteurs qui ont contribué le plus à ce regain d'intérêt pour les logiques nouvelles réside dans les difficultés internes où se trouve la logique classique et au souhait de bien des logiciens et mathématiciens de s'arracher à cette situation pénible. Cet état de choses a été acerbement, mais exactement, mis en évidence par le professeur Richard Routley, de l'Université Nationale Australienne (dans R:7, chap. 1). Pour pouvoir justifier l'application d'une règle d'inférence comme MP (Modus Ponens) à une théorie T classique -- i.e. telle que ses vérités de logique sont toutes et seules les vérités de la logique sententielle et quantificationnelle classique --, il faut, au préalable, être sûr que T est simplement consistante (car une théorie non triviale peut être classique et, tout à la fois, simplement inconsistante, seulement si elle ne possède pas MP comme règle d'inférence -- et probablement non plus d'adjonction, de simplification, d'addition etc.). Or, si T est une théorie suffisamment forte pour contenir l'arithmétique, alors chaque fonction récursive y sera représentable. Dès lors, les résultats de la preuve de Gödel lui seront applicables: la consistance de T ne sera point démontrable dans T, mais dans une théorie T' plus forte et plus suspecte, dont la consistance ne peut être prouvée que dans une autre théorie T'', encore plus forte et encore plus suspecte, et ainsi de suite. Et l'auteur de conclure: «Accordingly, too, use of classical logic in formulating such theories cannot be justified».

À notre avis, la situation est encore pire pour tous ceux qui se cramponnent à une logique pour laquelle les théorèmes de Gödel et Tarski sont valides, à savoir lorsqu'ils disent qu'aucune théorie ne peut parler d'elle-même, que toute théorie suffisamment riche est incomplète, dans quelle langue ou dans le cadre de quelle théorie sont formulés ces énoncés qu'ils avancent? Car ils sont clairement auto-référentiels; et, apparemment du moins, ils sont formulés dans une langue complète, puisque cette langue parle de la classe de toutes les vérités. (Si quelqu'un dit: «aucune langue ne peut exprimer toutes les vérités», il est en train de parler de toutes les vérités, y compris les mathématiques, dans une langue qui doit être assez riche pour contenir l'arithmétique et pouvoir ainsi être une métalangue viable de toutes les langues, y compris d'elle-même, ce qui, de toute façon, sera impossible, de par le théorème de Taraki).

Ainsi donc, si les résultats de Tarski et Gödel sont vrais, ils sont inexprimables et ineffables. Et cette même affirmation que nous venons de faire serait vraie, mais ineffable, et, à la prendre telle quelle, elle serait un non-sens. Autant peut-on dire de cette dernière affirmation. Et encore de cette dernière. Et ainsi de suite, etc., etc. La situation où l'on débouche est typiquement tractarienne. Mais Wittgenstein s'aperçut de l'insoutenabilité de sa situation, voulut» la reconnaître seulement, dans sa mystique, il crut que le message était largué, tenait bon au-delà même de l'ineffabilité et de l'absurdité des phrases qui entendaient le véhiculer. Cet irrationalisme extrême ne sera épousé volontiers que par une fraction exiguë des partisans de la logique classique. Mais tous les autres» auraient tort de se calfeutrer dans une ignorance délibérée de la situation où ils se trouvent, car ce ne serait que la politique de l'autruche.

Pour notre part, nous nous sommes attaché au travail de construire une logique nouvelle qui» pût être, à un certain nombre, d'égards, plus satisfaisante que: d'autres jusqu'ici proposées. Le fruit de ce travail est expose dans cette étude.

Il s'agit du système A, système de logique contradictorielle qui se compose de trois parts : un système de logique sententielle As; un. système de logique quantificationnelle de premier ordre, Aq; et une théorie des ensembles, Am.

Nous voulons, avant de poursuivre, énoncer quelques points terminologiques, et indiquer quelques vérités qui en découlent.

  1. Une antinomie est une formule du type «p.Np», où `.' est un foncteur de conjonction et `N' est un foncteur de négation.
  2. Une contradiction est une formule dont la négation est un théorème de logique.
  3. L'inconsistance simple (par rapport à un foncteur de négation `N') d'une théorie est le fait que celle-ci contienne une formule p ainsi que «Np» comme thèses.
  4. Un paradoxe est le fait qu'une théorie affectée d'une inconsistance simple soit -- ou paraisse être -- vraie.
  5. La saturation ou inconsistance absolue d'une théorie est le fait que chaque fbf (formule bien formée) de ladite théorie en soit une thèse.
  6. Une absurdité -- vis-à-vis d'une théorie -- est une formule dont on puisse déduire, dans la théorie, n'importe quelle fbf.
  7. Une quasi-absurdité est une formule telle que, si, elle était une thèse de logique, ou en pourrait déduire, dans la théorie, n'importe quelle fbf.
  8. Une aporie est une formule (ou une pluralité de formules) qui est (sont) prouvable(s) dans une théorie, et à partir de laquelle (desquelles) chaque fbf peut être déduite; on appelle, aussi, `aporie' un raisonnement ayant pour conclusion la présence dans une théorie d'une de ces formules.
  9. Une théorie est saturée, absolument inconsistante ou surcomplète ssi (si, et seulement si) chaque fbf en est une thèse.
  10. Une théorie est aporétique ssi elle contient une aporie.
  11. Une théorie est non saturée, absolument consistante ou non surcomplète ssi elle n'est pas saturée.
  12. Une théorie est anaporétique ssi elle n'est pas aporétique.
  13. Une théorie est triviale ssi elle contient une absurdité.
  14. Une théorie est antinomique ssi elle contient une antinomie.
  15. Une théorie est quasi-triviale ssi elle contient une quasi-absurdité.
  16. Une théorie est contradictoire ssi elle contient une contradiction.
  17. Une théorie est simplement inconsistante ssi elle est simplement inconsistante par rapport à quelque foncteur de négation.
  18. Une théorie est paradoxale ssi elle contient des paradoxes.
  19. Une théorie est simplement inconsistante ssi elle n'est pas simplement inconsistante.
  20. Une théorie est contradictorielle ssi elle est antinomique et simplement inconsistante en même temps.
  21. Une théorie T est paraconsistante ssi elle a des extensions qui sont, soit antinomiques, soit simplement inconsistantes par rapport à un foncteur de négation de T.
  22. Une théorie est surconsistante ssi elle est absolument consistante et elle n'est pas paraconsistante.
  23. Une théorie est cohérente ssi elle n'est ni aporétique, ni triviale, ni quasi-triviale.

Voici quelques vérités qui découlent de ces définitions (nous considérons seulement des systèmes contenant un foncteur S tel que Sp∴p et, si Sp est un théorème, q∴Sp):

Voici encore d'autres définitions.

`RC' est l'abréviation de «refus de la contradiction». Il ne s'agit pas d'une thèse ou une affirmation, mais de la décision de la plupart des philosophes actuels -- et aussi beaucoup de logiciens -- de ne pas accepter des contradictions ou des inconsistances simples.

Un autre terme dont on fait dans cette étude un emploi technique -- différent d'ailleurs, et il faut le souligner pour éviter toute confusion, de celui qu'en fait Quine dans ML -- c'est un élément : un élément est une chose qui n'est pas absolument existante, c'est-à-dire une chose qui, à certains égards du moins, est, peu ou prou, irréelle.

Au lieu de l'anglicisme de mauvais aloi «fuzzification», dont l'emploi est à déplorer mais qui figure, hélas, dans certains livres, nous employons, au sens de «action ou effet de rendre flou», aussi bien le mot authentiquement français «estompage», qui, a, très précisément ce sens-là, que le néologisme «flavification», que nous avons forgé sur la base du latin «flauus», d'où provient «flou» par dérivation vulgaire.

Signalons, par parenthèse, que notre emploi fréquent de néologismes n'est nullement dû à un quelconque irrespect envers la pureté de la langue française. Au contraire nous croyons que seulement en enrichissant la langue philosophique des mots dont elle a besoin pour exprimer une pensée nuancée peut on éviter l'envahissement de barbarismes malsonnants. Le recours aux néologismes est légitime s'ils sont conformes au génie de la langue, formés selon des patrons utilisés préalablement et spontanément pour constituer d'autres mots (surtout par le biais des procédés de dérivation), ou bien si la source de l'emprunt est la langue-mère, dans notre cas le latin. Ainsi, p.ex., «sententiel», que nous» employons, n'est point un anglicisme, mais un emprunt au latin `sententialis', mot qui figure dans une oeuvre attribuée à Cassius, correspondant de Cicéron, et chez Saint Isidore; sententia, au ses de phrase, se trouve déjà chez Cicéron, qui dit quelque part : de singulis sententiis disputare? -- commenter chaque phrase (d'une lettre).

Fermée la parenthèse, poursuivons l'énumération des points terminologiques. Nous ne faisons pas de distinction systématique entre `phrase' et `énoncé'. Ce dernier n'est donc pas, dans cette étude, le sens technique de l'anglais `statement', que les oxoniens et d'autres ont érigé en support de la vérité. La distinction, sur laquelle ces philosophes insistent, entre `sentence' et `statement' (sauf peut-être si par `statement' on entend un acte de parole) nous paraît d'un moindre intérêt, si ce n'est à propos des phrases comportant des déictiques ou d'autres expressions dont le sens est variable selon le contexte d'élocution. Or, de ces contextes-là on ne tiendra pas compte dans cette étude. Dans certains cas, néanmoins, ai le «contexte le demande (p.ex., si nous commentons les conceptions logiques de Strawson), nous distinguerons soigneusement entre une phrase et un énoncé, et alors `énoncé' sera bien la traduction de `statement' (traduction contestable, certes, puisqu'on a dit que «non-asserted statement» est un expression contradictoire, alors que «énoncé non asserté» ne semble pas l'être; «déclaration» serait aussi un candidat, mais il serait saugrenu «de dire que les supports de la vérité ce sont des déclarations).

«Classiciste» veut dire «personne qui professe la logique classique comme seule logique vraie (ou valide, ou utile) et qui, par surcroât, considère que, si l'on doit admettre des extensions de cette logique, ces extensions ne doivent pas se faire dans le domaine des opérateurs vérifonctionnels, mais ailleurs (dans des sphères intensionnelles). Autrement dit le classiciste soutient que la logique classique épuise la classe des opérateurs vérifonctionnels.

«Dignoscitif» s'applique à tout mode de pensée qui s'en tient au RC, ci-dessus défini.

Une distinction terminologique est faite entre le principe de non-contradiction, et la loi de contradiction (et similairement entre le principe et la loi de tiers exclu).

Dans chaque cas, le principe est un théorème du calcul sententiel, la loi étant le résultat de préfixer le principe d'un quantificateur universel (la loi est un théorème du calcul quantificationnel de premier ordre).

Encore une mise au point: si, dans une citation quelconque, on trouve souligné quelque mot -- ou suite de mots -- c'est bien l'auteur du texte, auquel la citation est empruntée qui l'a souligné, jamais nous-même.


Une grande partie de cette étude est consacrée à l'examen de paradoxes. Les paradoxes, les antinomies, jaillissent partout, peuplent les plus divers domaines du savoir et envahissent toute l'expérience humaine. Nous étudierons des paradoxes logiques et sémantiques, ainsi que des paradoxes liés à la théorie de la connaissance et à l'ontologie. Nous serons amené à constater, dans la plupart des cas, que la seule attitude rationnelle face aux paradoxes c'est d'en reconnaître la vérité; ce n'est pas nous qui tombons dans la contradiction, c'est le réel qui est contradictoire, qui est comme il n'est pas, ou qui n'est pas comme il est. Carnap a énoncé comme suit le comportement qu'on doit avoir face à la découverte d'une contradiction. (C:13, pp. 135-6)

logical paradoxes are characterized by the fact that there are two methods of reasoning, which, although both plausible and in accordance with customary ways of thinking, lead to contradictory conclusions. Any solution of an antinomy, that is, the elimination of the contradiction, consists, therefore, in making suitable changes in the reasoning procedure; at least one of its assumptions or rules must, in spite of its plausibility, be abolished or restricted in such a way that it is no longer possible to reach the two incompatible conclusions. Sometimes a certain form of inférence is abolished or restricted. ... Sometimes several different ways for solving a given antinomy are found. It is a matter of theoretical investigation to discover the consequences to which each of the solutions leads and, especially, what sacrifices of customary and plausible ways of expression or deduction each of them entails. But which of the solutions we choose for the construction of a language system is ultimately a matter of practical decision, influenced, of course, by the results of theoretical investigation.

Cette opinion attire deux commentaires critiques.

  1. Premièrement, la meilleure et plus simple «solution» à une antinomie c'est d'en reconnaître la vérité, d'accepter que le réel contient des vérités incompatibles (donc, par la règle d'adjonction, des vérités auto-incompatibles); c'est le cas chaque fois que, comme l'indique Carnap, l'antinomie est effectivement engendrée par deux méthodes de raisonnement plausibles. En effet, s'il en est ainsi, la conclusion est plausible, i.e. on doit admettre que le réel est antinomique où contradictoire; nous devons l'admettre, tout au moins, tant qu'une acceptation de l'antinomie ne s'est pas avérée impossible ou désastreuse. Carnap, gratuitement, tient pour assuré que l'acceptation d'une antinomie est désastreuse. Ceux qui partagent cette erreur se sont-ils jamais attachés à la recherche d'une logique satisfaisante, dans laquelle l'antinomie puisse être, admise sans provoquer la saturation d'une théorie? Et, s'ils ne l'ont pas fait, n'est-ce pas vrai que leur démarche est insouciante et téméraire? Peut-on, allègrement, écarter la solution la plus sensée, la plus simple, la plus intuitivement plausible, à savoir l'acceptation d'une contradiction obtenue à partir de deux méthodes de raisonnement conformes à nos façons habituelles de penser? D'autant que, en admettant la contradiction, on peut normalement éviter les sacrifices douloureux auxquels Carnap semblé «condamner notre entendement». Sa conception, héroïque et tragique, c'est que, puisque sacrifice il faut, on n'a que le choix d'un sacrifice plutôt que d'un autre. Si une logique contradictorielle est possible, où rien ne soit abandonné de nos moyens habituels d'expression et de raisonnement, mais où beaucoup soit ajouté, alors on peut sortir de l'impasse apparente sans aucun sacrifice et avec un gain énorme.

  2. Notre deuxième commentaire prolonge ces considérations. S'il y a une solution qui soit la reconnaissance de la vérité des choses telles qu'elles se présentent, moyennant l'enrichissement de nos procédés de raisonnement et du domaine de nos expressions, alors la question de choisir entre les solutions alternatives possibles cesse de se poser effectivement comme question pratique, comme quelque chose dont on doive décider par un acte e volonté, et devient une question purement théorique, de conviction. Car cette solution-là est, démontrablement, meilleure que toute autre, puisqu'elle est conforme à des principes épistémologiques fort plausibles, en tout cas beaucoup plus plausibles que ceux qui peuvent conduire aux sacrifices douloureux qu'on a pu épargner par l'acceptation de la contradiction. Le seul «sacrifice» qu'on doive consentir dans ce cas c'est celui du préjugé selon lequel la contradiction entraîne forcément la trivialité, préjugé blâmable, à tout le moins depuis que les travaux de Lukasiewicz et Vasil'ev au début du XXe siècle indiquèrent la possibilité de nier le principe de non-contradiction -- si tant est qu'un préjugé pareil ait jamais pu être excusable. Le préjugé est, de nos jours, extrêmement répréhensible, après les brillants travaux de da Costa, Arruda, Ottaviano, Raggio, Alves, au Brésil; Jaskowski, Kotas, Dubikajtis, en Pologne; Routley, en Australie, etc. Tous ces travaux prouvent, d'une manière concluante, la possibilité de théories contradictoires non triviales.

Le système de logique présenté dans cette étude -- élaboré indépendamment de tous ceux auxquels on vient de faire allusion -- est un système anaporétique, donc non trivial, mais simplement inconsistant et antinomique en même temps, c'est-à-dire contradictoriel.

L'élaboration de ce système obéit à une puissante motivation philosophique. Ce qui nous a guidé dans cette entreprise c'est le dessein d'entériner un système philosophique particulier, dans la construction duquel s'inscrivent les analyses présentées dans cette étude. Ce système, qu'on pourrait appeler «ontophantique», est caractérisé par les trois traits suivants

  1. Réalisme absolu : tout ce qui peut être pensé est, en quelque sorte vrai; i.e. il y a un correlât réellement existant et en soi -- dont l'existence ne se réduit point à être pensé ou dit -- de chaque acte mental.
  2. Rationalisme absolu: tout le réel est intelligible, transparent à la raison; ses structures et articulations sont conformes aux réquisits de la raison, aux lois de la logique et à ce principe régulatif fondamental de la pensée rationnelle qu'est le principe de raison suffisante. Dès lors toute vérité peut être linguistiquement exprimée.
  3. Formalisme absolu: non seulement tout discours est formalisable, mais, qui plus est, il y a un système formel -- même s'il est béant, donc pas intégralement explicitable -- auquel tout discours est traduisible.

Nous croyons montrer suffisamment qu'une» défense de ces trois principes ne peut être faite sans l'admission de la thèse de la contradictorialité du réel.

L'élaboration d'un système de logique formelle non classique, une fois que l'idée en est devenue courante, est, en effet, une affaire qui demande peu de frais intellectuels. Il n'en va point de même lorsqu'on veut obtenir une logique possédant des caractéristiques particulières qui la rendent capable d'accomplir, simultanément, un certain nombre de tâches.

Une logique est d'autant plus satisfaisante que le nombre et la variété de ses tâches est plus vaste. Outre la formalisation de la plupart des raisonnements habituels, la tâche que nous demandons d'accomplir au système A (i.e. au tout constitué par As, Aq et Am) c'est, comme nous venons de le dire, l'entérinement d'une philosophie ontophantique. On peut préciser une série de tâches particulières qui composent cette grande tâche générale

  1. Contenir comme sous-systèmes propres, en premier lieu et avant tout, le CSC, sous une certaine traduction, mais aussi des traductions du plus grand nombre possible de logiques non classiques, se conformant par là à un postulat gnoséologique de cohérence maximale (ou de maximalité cohérente).
  2. Prévenir les apories logiques et sémantiques sans avoir recours à des procédés de dénivellation.
  3. Demeurer dans le cadre d'une logique de premier ordre et garder, dans leur intégralité, les règles UI, UG et EG, sans faire de distinctions, à cet égard, entre noms propres et descriptions définies.
  4. Fonder l'arithmétique sur un calcul contradictoriel, gardant ainsi l'acquis des théories des ensembles classiques.
  5. Réduire au strict minimum l'engagement idéologique explicite (au sens de Quine) -- nous le réduirons, en fait, à deux seuls prédicats: l'appartenance, d'un côté, un prédicat doxastique `croit que', d'autre part.
  6. Expliquer les paradoxes de l'identité, conciliant l'identité avec la différence (ce en vertu de la validité de la thèse «Ux,yN(xIy)»,[Nota 1] donc aussi de «Ux,yN(xIIy)»);[Nota 2] et, en particulier, expliquer les paradoxes de l'identité à travers le temps, les processus de fission et de fusion.
  7. Expliquer les paradoxes de la substituabilité des identiques, permettant la définition d'une multiplicité -- infinie -- de relations différentes les unes des autres, d'identité, qui soient aussi différentes de la mêmeté parfaite.
  8. Permettre la défense d'une version aussi forte que possible du principe d'extensionalité, comportant notamment la substituabilité des identiques (stricts) dans tous les contextes, ce qui entraîne l'abattement, à cet égard, de la frontière entre les contextes extensionnels ou transparents et les contextes intensionnels ou opaques.
  9. Fournir un principe universellement valide d'individuation conforme à la loi d'identité des indiscernables mais qui en soit indépendant, tout en se passant d'un recours quelconque à des substrats ou des heccéités.
  10. Offrir une solution adéquate au problème du référent des phrases fausses.
  11. Entériner quelque version de la règle de généralisation existentielle dans les contextes doxastiques, appliquée aux propositions, et ce sans aller au-delà d'une logique à un seul type de variables liées.
  12. Permettre une solution du problème des choses inexistantes et, de ce fait, fournir un cadre adéquat au traitement logique de la fiction.
  13. Entériner une certaine version de la thèse d'Euthydème sur l'omniscience générale.
  14. Entériner la thèse de l'existence d'une multiplicité infinie de degrés de vérité, chère aux philosophes cohérentialistes et, ce faisant, résoudre d'une manière satisfaisante les paradoxes du flou (et, par ce biais, constituer une théorie des ensembles flous.
  15. Rendre logiquement valide l'identification de l'être et de la vérité (le dicton scolastique «ens et uerum conuertuntur»).
  16. Entériner l'identification de chaque étant avec sa propre existence (i.e. avec le fait qu'il existe dans une mesure donnée pour chaque égard du réel), atteignant par là le double but de formuler une idée claire de ce qu'est l'existence (idée conforme, du reste, à celle que Kant formule dans le Beweisgrund de 1763, l'existence étant le prédicat ou propriété dont la fonction caractéristique est une transformation nulle, i.e. une fonction qui envoie chaque argument sur lui-même, ce qui est possible de (15) ci-dessus).
  17. Entériner la thèse du continuum conceptuel ou ensembliste, thèse qui veut que la différence entre un ensemble et n'importe quel sous-ensemble de son complément soit une simple distinction de degré, en sorte qu'il n'y ait point de rupture ou de discrétion séparant deux ensembles quelconques et que chaque chose possède, dans une mesure ou dans une autre, toutes les propriétés possédées par n'importe quelle autre chose. Par ce principe de continuité on peut valider une certaine version du monisme éléatique, le principe leibnizien de continuité, la conception de Nicolas de Cuse de l'inclusion dans chaque chose de toutes les autres choses avec leurs propriétés, et la thèse de Spinoza comme quoi deux substances partageant une même propriété, doivent partager toutes leurs propriétés.
  18. Sauvegarder le principe d'univocité de l'être (ou, ce qui revient au même, d'unicité catégorielle) et, par suite, la non relativité de l'identité.
  19. Sauvegarder l'image du monde du réalisme naïf et répondre aux critiques idéalistes (de Berkeley, p.ex.) et réalistes critiques (de Russell) qui affirment l'insoutenabilité de cette image du monde à cause des contradictions qu'elle entraîne.
  20. Eviter la validité de la formule «Ux,y(xDDy+.yDDx)»[Nota 3] qui hiérarchiserait linéairement toutes les choses, rendant l'ensemble des choses totalement ordonné par une relation de préséance existentielle (ce qui serait incompatible, entre autres, avec la thèse jeffersonienne de l'égalité ou parité de tous les hommes, dont une formulation convaincante pourrait être «Ux,y(xhom.yhomQ.y%xC.x%y)»,[Nota 4] la parité étant ainsi conçue comme la nécessaire absence de supériorité absolue d'un homme par rapport à un autre).
  21. Permettre la construction d'une logique modale dans laquelle cette formule soit valide : «poss(p)DJp»,[Nota 5] i.e. tout ce qui peut être vrai se trouve en fait être vrai, à tout le moins dans une certaine mesure et à certains égards, et ce tout en bloquant la validité de cette autre formule «poss(p)Dp»,[Nota 6] qui banaliserait la logique modale. Ceci permet de résoudre, d'une manière satisfaisante, les paradoxes soulevés par Quine et Rescher concernant les possibles irréels.
  22. Servir de base à un traitement contradictoriel des problèmes du mouvement et du continu (ce qui» comprend, entre autres, les paradoxes de Zénon), si bien que, au cas où les tentatives faites pour résoudre ces difficultés sans admettre la contradiction s'avéraient illusoires, une solution contradictorielle de rechange pourrait être trouvée.
  23. Pouvoir constituer une logique sous-jacente d'une formalisation de deux dialogues platoniciens : le Parménide et le Sophiste, entérinant la validité de la plupart des arguments qui constituent la trame de ces deux dialogues.
  24. Servir aussi de base à d'éventuelles formalisations ultérieures d'autres conceptions philosophiques ayant défendu la coincidentia oppositorum, celles, p.ex., d'Héraclite, de Plotin, de Proclus, du Corpus Dionysianum, d'Énésideme, du courant hermétique, de Marius Victorinus Afer, de Scot Érigène, du Cardinal Nicolas de Cuse, de Robert Fludd, de Jacob Boehme, de Giordano Bruno, d'une certaine phase de la pensée de Schelling, de Hegel, de Stéphane Lupasco et d'une certaine version du marxisme.
  25. Permettre le développement de thèses scientifiques contenant certaines formules et leurs négations (p.ex. affirmant le caractère corpusculaire de la lumière et aussi niant ce caractère).
  26. Permettre la construction de logiques déontiques qui admettent le conflit des devoirs.
  27. Rendre raison de nombreux phénomènes dans la logique sous-jacente de la langue naturelle qui n'avaient pas pu être traités d'une manière satisfaisante énaborlant cette question sous l'angle de la logique classique. Ce point peut être décomposé comme suit (en nous bornant à considérer quelques faits majeurs)

    1. rendre raison de l'existence -- peut-être prépondérante dans certaines langues et certains usages linguistiques -- des phrases non verbales à signification existentielle;
    2. formaliser les modificateurs aléthiques enchâssés à l'intérieur des phrases (tels que «un peu», «très», «assez», «considérablement», «tout à fait» «pour ainsi dire», «absolument», «à certains égards» comme des foncteurs sententiels monadiques, ce qui permet un traitement vérifonctionnel;
    3. formaliser les constructions comparatives comme fonctions de vérité dyadiques et les constructions superlatives comme des descripteurs contenant des négations de quantifications existentielles de constructions comparatives.
    4. accorder à chaque adjectif-épithète un emploi catégorématique possible (dans la terminologie de Quine) -- un emploi comme «standard modifier» dans celle, de Parsons --, évitant ainsi -- entre autres inconvénients -- l'inflation des sens alternatifs d'un grand nombre de ces adjectifs;
    5. élargir autant que possible le champ d'application du principe de délétion ou de retranchement;
    6. autoriser et expliquer l'adicité variable des verbes transitifs en français et dans d'autres langues.

Le professeur da Costa indique (dans C:27) qu'une logique paraconsistante possède un grand intérêt pour la formalisation de certaines théories (comme la théorie des objets de Meinong, que précisément Bertrand Russell avait rejetée du fait qu'elle enveloppait des contradictions), et pour enrichir l'ontologie (et accepter, p.ex., la classe de toutes les classes qui ne s'appartiennent pas à elles-mêmes). Ces deux soucis sont bien les nôtres. Nous pensons qu'un très large éventail de théories ne peuvent être systématisées et rendues intelligibles si l'on n'admet pas des paradoxes ou contradictions. Et nous visons aussi à prévenir les malthusianismes désertificateurs en matière d'ontologie.

En même temps, une partie considérable des buts que le système A se propose d'atteindre ne peuvent pas l'être par le biais des autres logiques paraconsistantes élaborées jusqu'ici.

L'applicabilité des logiques paraconsistantes à l'étude des questions déontiques et juridiques a été indiquée par Routley (cf. R:7, ch. I), qui énonce, très justement que

the prevailing law is sometimes inconsistent, yet deductive reasoning, incorporating the principles of law as postulates, continues both within and outside the courts without being trivialized. Legal logic would accordingly apper to be dialectical logic.

Nous avons l'espoir que le système A présenté dans cette étude -- et qui, sans doute, devra être ultérieurement enrichi - contribuera décisivement à affronter tous ces problèmes et résoudre la plupart d'entre eux. Dès lors, on pourra traiter uniformément des problèmes apparemment éloignés les uns des autres. Qui plus est, un certain nombre de ces problèmes non seulement peuvent être résolus grâce à Am, mais se trouvent, en fait, être résolus d'office dans le cadre de Am, car les solutions satisfaisantes auxquelles nous avons fait allusion sont des conséquences des axiomes et règles d'inférence de Am. Tel est le cas des taches (1); (2) -- en partie --; (3); (4) (5); (6) -- en partie --; (7); (9); (14); (15); (16.); (17); (18); (27) - en grande partie. Il faudrait ajouter plusieurs autres si l'on devait inclure dans A l'extension doxastique exposée dans la section IV du Livre III de cette étude (Ad).

Qu'une bonne méthode philosophique consiste à obtenir le plus de résultats épistémiquement -- et pratiquement -- souhaitables à partir de conjectures aussi générales que possible est quelque chose qui ne doit pas étonner, car c'est aussi la voie que suivent les sciences empiriques. M. Capek (C:7, dans les derniers paragraphes du chap. IV) rappelle que nombre de constantes que la chimie du siècle dernier tenait pour purement empiriques se sont avérées de simples conséquences de la nouvelle théorie de l'électron. C'est ce type de démarches rationnelles et unificatrices qui a inspiré notre travail. Elles constituent des aspects caractéristiques de ce qu'on appelle la «consiliance» des conjectures scientifiques, i.e. le fait qu'elles soient aussi peu ad hoc que possible, qu'elles permettent de traiter uniformément et selon des principes généraux un grand nombre de problèmes empruntés à des domaines variés et qui, à première vue, n'entretenaient aucun rapport.

Tout au long de cette étude, un grand nombre d'énoncés assertés par divers auteurs apparaissent, pour la plupart en citation indirecte, et font l'objet de critique, critique qui tend souvent à en prouver l'absurdité, voire même la fausseté superabsolue. Or, d'après la logique doxastique Ad que nous défendons dans la Section IV du Livre III, personne ne croit une fausseté superabsolue. Mais alors il paraîtrait s'ensuivre que, ou bien est erronée notre attribution de ces points de vue-là superabsolument faux à un certain nombre d'auteurs, ou bien notre critique n'est pas bien fondée, car, au cas où elle le serait, ces gens-là auraient bien pensé, après tout, des propositions superabsolument fausses, ce qui est exclu, de notre propre aveu.

La solution de cette difficulté est la suivante : chaque fois que nous rapportons, même en citation indirecte, les propos de quelqu'un pour en montrer la fausseté (surtout si la fausseté imputée est totale et absolue), nos affirmations citationnelles ne seront que des abréviations d'une paraphrase que le lecteur doit rétablir implicitement, à savoir «Untel a énoncé des phrases dont la traduction littérale vers notre propre idiolecte est celle-ci : `---'». Et la critique portera sur le substitut des tirets. Aussi dans aucune de ces citations indirectes n'attribuons nous pas la croyance au fait que --- à la personne en question. Certes, à moins qu'il soit totalement et absolument faux que ---, on aura tout lieu de faire cette attribution de croyance; mais une telle attribution ne constitue pas notre propos, car nous ne citons les auteurs dont le nom figure dans cette étude que par l'intérêt que leurs propos, où la critique de (la traduction littérale vers notre idiolecte de) leurs propos revêtent pour l'élucidation du sujet sur lequel porte notre enquête. Là, néanmoins, où la traduction littérale donne un résultat totalement absurde, le principe de charité nous contraint de substituer, à cette traduction avérée intenable, une traduction non littérale, peut-être quelque traduction qui donne pour résultat une affirmation absurde mais non pas totalement absurde (une phrase p, telle que «_Fp» soit vraie, mais «Fp» ne le soit point; pour le rôle synsémantique de ces signes, cf. le Livre I, Section I, chap. 1).


Nous voudrions conclure cette introduction par quelques remarques concernant le rapport entre l'élucidation des problèmes métaphysiques, la logique formelle et la linguistique. On a l'habitude d'entendre parler d'une prétendue stérilité de la philosophie. C'est le poncif de ceux qui préfèrent mettre au rebut les interrogations qui jaillissent dans la pensée humaine plutôt que de tenter une solution en transitant par un chemin que l'on sait hérissé d'embûches. Or, s'il est un espoir de projeter une nouvelle lumière sur ces questions vénérables, de les élucider d'une manière plus exacte et de récupérer, en les raffinant, des suggestions valables et judicieuses des auteurs d'un passé souvent reculé, c'est précisément la logique formelle contemporaine qui est à même de l'offrir. Il n'est pas étonnant que ce soit là où l'on cultive le plus la logique formelle que l'intérêt pour les vieux problèmes métaphysiques ait repris avec le plus d'acuité, et que des problèmes se posent de la manière la plus intelligible, la plus rigoureuse, sous un oeil analytique, rationnel, minutieux, qui veut des arguments, des solutions déduisibles selon des règles, non pas des intuitions -- échappant à toute régularité et à tout critère intersubjectif.

Là où, en revanche, l'intérêt pour la logique formelle contemporaine n'a pas encore atteint un degré suffisant, ceux qui voudront se consacrer à une étude métaphysique logiquement orientée se buteront à des incompréhensions et des craintes. Ils se doivent, néanmoins, de persévérer dans le traitement logico-formel des problèmes métaphysiques. Sur cette voie beaucoup d'autres les ont précédés. Que l'on pense à l'ensemble, déjà volumineux, d'études en «logique philosophique» (on pourrait dire en métaphysique logico-formellement élucidée) qui ont vu le jour, pendant lés vingt dernières années, dont on trouve la plupart dans des revues philosophiques de langue anglaise. La conjonction du formalisme logique et de la méditation philosophique n'est pas du tout la substitution d'une pensée automatisée ou mécanique à une réflexion créatrice (cette conception de la logique comme quelque chose de mécanique tient à un préjugé malheureusement encore répandu).

Au contraire, en imposant des contraintes, en établissant des critères solides, elle évite des pseudo-solutions frivoles et oblige à réaliser un effort plus poussé pour repenser à fond, avec un plus grand souci d'exactitude et d'exhaustivité, ces vieux problèmes métaphysiques, ce qui, loin de paralyser l'imagination, la stimule puissamment. Le logicien philosophe, dès lors, ne doit pas se laisser intimider par les critiques qui visent à le forcer à se replier sur un seul champ, abandonnant ainsi, soit la logique, soit la métaphysique.

De la même façon, la confluence de la logique formelle et de la linguistique a rendu des services importants à la cause scientifique. On ne doit pas oublier ce que le mouvement transformationnel doit à l'apport de la logique formelle. Par ailleurs, une recherche interdisciplinaire qui se prolonge depuis des années réunit les efforts de mathématiciens, logiciens, linguistes et philosophes, dans la tentative d'élucider mieux les structures de la langue naturelle sous tous les rapports. Notre démarche ne pouvait pas ignorer ce champ, car, si un formalisme n'a pas des liens établis -- et corroborés par une recherche approfondie -- avec la langue naturelle, sa prétention de constituer une logique peut être sérieusement mise en question. Après tout, l'effort de la logique, depuis Aristote, est celui de formaliser des inférences qui sont considérées normalement comme valides -- non sans hésitations et trébuchements, il est vrai -- par les locuteurs d'une langue naturelle. Le problème immense du rapport entre les langues formalisées et la langue naturelle nous ne l'avons abordé que sous un angle, celui de la possibilité de rendre raison, par le système de logique A -- en le postulant comme logique sous-jacente d'un dialecte ou idiolecte particulier du français littéraire contemporain --, de rendre raison d'un certain nombre d'inférences valides dans un fragment d'une langue naturelle. Même cette tâche, déjà modeste, nous ne l'avons entreprise qu'avec l'intention de proposer les résultats de notre recherche à titre de suggestion ou d'hypothèse, que des investigations ultérieures de personnes plus compétentes en la matière pourront confirmer ou infirmer. Nous espérons que de cette partie de notre recherche il restera, quoi qu'il arrive, un noyau permettant d'affirmer, comme rationnelles et logiques, beaucoup d'expressions courantes de la langue naturelle, sans passer par les détours des interprétations ad hoc ou trop latérales; et, surtout, le traitement des modificateurs aléthiques enchâssés comme des foncteurs vérifonctionnels monadiques, et des comparatifs comme des foncteurs vérifonctionnels dyadiques. (Ces résultats sont exposés dans la Section IV du Livre I). Si notre démarche peut paraître audacieuse sur ce terrain, que l'on pense à l'intérêt, et la fécondité du traitement de questions linguistiques par des logiciens et des philosophes -- comme Frege, Quine, Montague, Davidson, van Fraassen, Cresswell, Thomason, Geach, Max Black et tant d'autres qui nous ont précédé et dont nous suivons les pas. Leurs conclusions peuvent être -- et sont souvent - contestables, mais ce qui nous paraît indubitable c'est la fertilité de leurs approches pour susciter de nouvelles élucidations et de nouveaux approfondissements, ainsi surtout que le fait que leurs tentatives ont toujours réussi à mettre en lumière des aspects souvent négligés de la structure de la langue naturelle (notamment l'existence dans la langue de règles d'inférence et de postulats, règles et postulats qui s'apprennent en apprenant la langue -- ce qui ne veut pas dire, disons-le dès maintenant pour éviter toute confusion, que cet apprentissage -- soit indépendant de celui du monde -- et qui font partie de la «grammaire» au sens large).

Une protection jalouse d'un terrain délimité, avec interdiction d'y empiéter, nous paraît déplacée. Autant accorder au philosophe le droit de pourchasser les chercheurs d'autres disciplines qui veulent philosopher et qui ne s'en priver pas. Les linguistes eux-mêmes recourent -et ils ont raison de le faire- à des arguments philosophiques pour étayer certains de leurs points de vue : arguments, p.ex., sur la solidité gnoséologique ou épistémologique de telle ou telle procédure ou méthode, ou sur l'honorabilité de tel ou tel type d'entités postulé pour rendre compte de certaines structures et du lien entre la langue et le réel. Il est naturel que l'on fasse observer que de tels problèmes sont philosophiques, non pas que l'on veuille faire taire le linguiste qui se prononce là-dessus. Chaque science, y compris la philosophie, comporte et possède sa propre technicité. Mais la communication interdisciplinaire est indispensable, et on ne devrait pas la décourager avec des attitudes sourcilleuses ou des méfiances immotivées.


INDEX NOMINUM




L'auteur a respecté dans cette réédition partielle la notation utilisée en 1979 -- qui s'adaptait aux limitations de la machine à écrire de l'époque. En notation actualisée ce serait: «∀xy[~(x↔y)]».



En notation actualisée: «∀xy~(x=y)».



Aujourd'hui cette formule s'écrirait en notation actualisée: «∀xy(x⇒y∨.y⇒x)».



En notation actuelle ce serait: «∀xy[P(homx∧homy)⊃P(y\x⊃.x\y)]»: pour deux êtres humains quelconques, x, y, si l'un des deux possède un plus haut degré d'existence à certains égards, il possède alors un plus bas degré à d'autres égards.



«◊p→Jp»: ce qui est possible est vrai à certains égards.



«◊p→p».