pp. 57-78. ISSN 0035-1784
O miranda facilitas difficilium! (Idiota de sapientia, III, 474)
Table des matières
Section 1.-- Remarques introductives
La pensée de Nicolas de Cuse constitue tout à la fois un tournant dans l'histoire de la philosophie et, en même temps, la poursuite d'une vieille tradition platonicienne, dialectique et mystique qui, tirant ses sources surtout du Parménide de Platon et, à sa suite, du néoplatonisme, longe le Moyen Age comme une espèce de courant souterrain en quelque sorte parallèle à l'aristotélisme devenu de plus en plus officiel au fur et à mesure que les siècles s'écoulent. La nouveauté du Cusain ne concerne pas seulement sa théorie de la connaissance, sa conception des affirmations humaines comme conjectures puisant la seule certitude qu'elles possèdent dans le fait qu'elles proviennent de l'initiative de notre esprit -- rien ne pouvant être connu si ce n'est l'oeuvre du connaisseur.
Outre ces apports épistémologiques du Cardinal -- dont il ne convient ni d'exagérer la parenté avec des théories postérieurement avancées ni de méconnaître les racines néoplatoniciennes, notamment aréopagitiques, que Nicolas lui-même se plaît à avouer --, il semble bien qu'il faut relever par-dessus tout l'originalité des vues ontologiques et théologiques du Cusain. Or c'est justement là que réside la plus grave difficulté pour l'interprétation de sa pensée. Car ce qui, à première vue tout au moins, paraît en constituer la principale nouveauté, l'originalité foncière, à savoir la doctrine de la coïncidence des opposés (ci-dessous abrégée `c.o.') dans l'Infini, c'est-à-dire en Dieu, a été l'objet d'exégèses si charitables que le système cusanien s'en est trouvé tout émoussé, sinon galvaudé.
Nombre d'interprètes se sont évertués à diluer cette doctrine de façon, d'une part, à n'y trouver qu'une simple redite des vieilles conceptions ineffabilistes, en vogue surtout dans le néoplatonisme dont notre auteur s'inspire -- voire même une rechute dans l'analogisme d'un Thomas d'Aquin sous d'autres atours, dont la teneur apparemment paradoxale ne serait qu'un clinquant ou un appât --; d'autre part, à lui refuser le caractère d'une révolution logique, moyennant des manoeuvres exégétiques grâce auxquelles il n'y aurait point de contradiction entre cette doctrine-là et le rejet aristotélicien de la contradiction dans le réel. Or, il nous semble qu'à ce compte-là notre auteur perdrait son rôle majeur dans l'histoire de la philosophie, n'ayant plus à nous offrir une pensée vraiment propre, véritablement révolutionnaire.
Qui plus est, faute de mieux, tous les efforts pour chercher ailleurs la nouveauté de la métaphysique cusanienne s'avèrent stériles, n'aboutissant qu'à un amas de précisions éparses, sans un noyau unifiant, sans aucun motif coordonnateur central. Au demeurant, pareil rapetissement ou abaissement du rôle du Cusain mène forcément à une mécompréhension des lignées qui, à travers les philosophes italiens de la Renaissance, puis Bruno et Boehme, aboutissent à Schelling et Hegel. Quoi qu'il en soit, notre tâche dans le présent article se borne à nous pencher sur quelques points de l'interprétation du Cusain lui-même.
L'une des raisons le plus couramment invoquées à l'encontre d'une lecture littérale de la doctrine cusanienne de la c.o., c'est que notre auteur, déjà dans son premier chef-d'oeuvre, De docta Ignorantia (1440, désormais cité par DI), mais de plus en plus par la suite, tient à souligner que, si les opposés coïncident en Dieu, c'est non pas comme opposés, mais comme non-opposés, puisque Dieu précède toute opposition; autrement dit, les contradictoires qui coïncident en Dieu n'y sont pas contradictoires -- d'où il s'ensuivrait qu'ils ne reçoivent leur dénomination que par un procédé analogique, faute de mieux. Dès lors, la c.o. en Dieu s'y ferait sans opposition. Or, que telle est en fait la teneur de la doctrine cusanienne, c'est ce que paraîtrait confirmer surtout un texte du De coniecturis (écrit rédigé pendant la première moitié des années 40 du siècle, désormais cité par DC) où, en plus de nous dire -- comme du reste il le fait souvent ailleurs -- que Dieu, plutôt que d'être le siège de la c.o., se trouve au-delà d'une telle coïncidence, Nicolas soutient que la c.o. caractérise, non pas l'unité suprême, divine -- dont le trait serait bien plutôt l'absence pure et simple des opposés, positifs ou négatifs, tant et si bien qu'il ne saurait y avoir qu'une théologie négative --, mais l'unité seconde, intellectuelle: une unité dont le sens a été, par ailleurs, différemment conçu par les interprètes. Ce passage a naturellement attiré l'attention de tous ceux qui veulent soumettre la philosophie cusanienne à une lecture qui abolit la contradiction. D'aucuns y ont vu un écart de la doctrine du DI. D'autres sont d'avis qu'il ne s'agirait en fait que d'un autodépassement de ladite doctrine, jaillissant de son fond même. Cependant aussi bien les uns que les autres estiment que la véritable conception du Cusain, avancée précisément dans ce texte du DC, exclurait d'avance toute exégèse contradictorielle, à tout le moins pour ce qui est de sa conception de Dieu.
Je me propose, dans cet article, d'examiner ce texte dans le contexte de la doctrine cusanienne comme elle est présentée aussi bien dans des écrits antérieurs que dans d'autres rédigés par la suite, et jusqu'à la fin de la vie de notre philosophe. Je tiendrai compte des éclaircissements du dialogue De Non-Aliud (écrit en 1462, deux ans seulement avant la mort du Cardinal, dorénavant cité par NA). L'évidence textuelle déployée dans cet article infirme, ce me semble, l'hypothèse d'une évolution de la pensée cusanienne -- surtout celle d'un abandon de la thèse de la c.o. en Dieu après la rédaction du DI.
Après avoir tenté, dans la Section 2, une élucidation sommaire de la doctrine de la c.o., j'étudierai dans la Section 3 les déclarations de Nicolas comme quoi les contradictoires ne se contredisent pas en Dieu -- j'espère prouver que cela ne veut pas dire que la contradiction en Dieu ne soit pas du tout une contradiction, mais plutôt ceci: en Dieu coïncident l'opposition et la non-opposition des contradictoires. La Section 4 nous tiendra occupé à expliquer pourquoi le Cusain dit plusieurs fois, non pas que Dieu se trouve dans une c.o., mais qu'Il est au-delà ou au-dessus de la c.o.; j'essaierai de faire voir que ce dont il s'agit, c'est non pas un abandon ni un dépassement quelconque de la thèse de la c.o., mais le fait que la c.o. coïncide avec son au-delà, puisqu'elle coïncide avec la non-coïncidence. La Section finale de l'article nous permettra de comprendre comment toutes les théologies sont, d'après notre philosophe, unifiées dans la théologie copulative, celle qui réunit les contradictoires, affirmativement, dans leur conjonction.Note 1
Section 2.-- Le dépassement des principes de non-contradiction et du tiers exclu dans la doctrine de la docta ignorantia (d.i.)
La controverse déclenchée par le professeur de l'Université de Heidelberg, Jean de Wenck, en 1443, contre la doctrine cusanienne de la d.i. avec son écrit polémique De ignota litteratura -- auquel Nicolas répondit six ans plus tard par son ADI -- nous fournit un bon moyen de tester, en scrutant les contre-allégations du Cusain, la véritable teneur de sa doctrine pour ce qui est de son rapport aux principes de la logique aristotélicienne.
Y a-t-il eu un simple malentendu, comme il y paraîtrait à croire les interprètes du Cusain qui n'y voient rien d'incompatible avec la logique aristotélicienne? Les textes que je vais citer à ce propos ne sont pas absolument tranchants (y en a-t-il d'ailleurs où que ce soit?), mais la lecture compatibiliste me semble par trop forcée.
Tout d'abord, notre philosophe, loin de repousser l'accusation de faire une entorse aux principes de la logique aristotélicienne, attaque plutôt la « secte des aristotéliciens » en ces termes:
Qu'est-ce à dire? On pourrait penser que le Cusain se borne là à réprouver, non pas la logique aristotélicienne, mais seulement l'attitude philosophique des tenants du Lycée lorsqu'ils rejettent, au nom de ladite logique, la c.o. D'après semblable lecture, les péripatéticiens ne seraient fautifs que par leur croyance, erronée, à une prétendue incompatibilité du principe de n.c. avec la c.o. quant au principe lui-même, il ne serait nullement à blâmer, non plus que celui du tiers exclu. Qu'une telle lecture n'est pas fondée, c'est ce que semblent prouver des passages que je me propose d'examiner ci-dessous.
Dans le même écrit, ADI, le Cardinal ajoute ce qui pourrait sembler encore une tentative pour mettre les points sur les i, à l'endroit des accusations de son contradicteur --, et ce dans un sens compatibiliste:
Comment interpréter ce passage? L'un des meilleurs commentateurs récents du Cusain, Mariano Álvarez, présente ainsi sa lecture ((A), p. 64):
La suite du texte en précise la teneur: puisque le domaine d'un prédicat positif ou négatif, susceptible d'affirmation ou de négation, ne dépasse pas la zone du fini, puis donc que Dieu échappe à toute applicabilité de prédicats de cette sorte, le principe de n.c. doit, lui aussi, voir son domaine restreint à l'ensemble du fini.
Non pas que l'infini réalise une contradiction, c'est-à-dire ce qui serait proscrit par ledit principe, mais, bien plutôt, que le domaine d'un principe qui exclut, de par sa formulation même, l'applicabilité conjointe de certains prédicats ne saurait dépasser les limites du domaine où ces mêmes prédicats sont, en principe du moins, applicables -- c'est-à-dire où ils sont applicables au sens large, i.e. où l'application a un sens et se fait, soit avec vérité (applicabilité au sens étroit), soit avec fausseté.
Dès lors, ni le fini ni l'infini ne sauraient être contradictoires, mais pour des raisons non seulement différentes mais opposées: le fini est forcément non contradictoire parce que, étant champ d'application de prédicats contradictoires, il est par là même soumis à la loi qui en exclut toujours un lorsque son contradictoire se trouve être applicable avec vérité; tandis que, bien au contraire, l'infini est non-contradictoire pour la raison, toute opposée, qu'une loi semblable ne saurait être en vigueur là où par principe aucun de ces prédicats-là n'est applicable, ni avec vérité ni avec fausseté. Par suite, Nicolas n'aurait eu garde de nier le principe de n.c., mais, au contraire, de le fonder tout en précisant ses limites, c'est-à-dire tout en clôturant son champ d'application.
Une interprétation semblable ne me paraît pas adéquate. Tout d'abord, cependant, avant d'en entamer la critique, je tiens à préciser qu'il ne s'agit tout de même pas là d'une lecture selon laquelle le Cusain, en refusant au principe de n.c. la primauté quoad intellectum uidentem, serait purement et simplement en train de dire que lorsqu'il s'agit de la quête de la vérité sur Dieu, sur l'objet dudit intellect voyant, le principe de n.c. deviendrait insuffisant pour atteindre le but. Personne en effet n'a prétendu que ledit principe suffit ni dans ce domaine ni dans aucun autre -- en tout cas personne n'a jamais dit (et surtout pas les aristotéliciens) que notre connaissance humaine peut connaître quelque chose par le seul moyen du principe. Dès lors, le compatibilisme de Mariano Àlvarez n'est pas aussi poussé que, p. ex., celui de Horovitz dans (H)-, que je me propose d'examiner critiquement ailleurs.
Toujours est-il que c'est du compatibilisme. Or il y a de nombreux passages des oeuvres du Cusain -- à commencer par des déclarations fort explicites de DI -- qui, ce me semble, militent contre toute lecture compatibiliste. Examinons en quelques-uns.
Dans DI (I, 260) le Cusain affirme:
Déclaration, certes, susceptible de plusieurs interprétations, mais qui en tout cas semble exclure la thèse comme quoi les contradictoires -- et, par suite, tout principe concernant leur applicabilité -- n'auraient pour domaine d'application que le fini. Car ce que Nicolas nous dit là, c'est bien plutôt que les contradictoires s'appliquent à Dieu, seulement de telle sorte qu'ils n'y sont pas contradictoires. Qu'ils s'appliquent à Dieu, c'est ce qui permet d'englober (amplecti) les contradictoires dans un concept, si simple soit-il, applicable précisément in diuinis. Que la distinction et l'indistinction soient en Dieu non contradicentia, qu'elles n'y soient même pas distinctes, c'est ce qui prouve qu'elles y sont, encore que leur façon d'y être soit éloignée de la façon dont deux prédicats (non contradictoires entre eux) peuvent se trouver dans le fini: différence résidant précisément en ceci que dans le fini une détermination en exclut la contradictoire, ce qui n'est pas le cas dans l'Infini.
Pareillement, l'affirmation de Nicolas comme quoi les contradictoires sont englobés dans le concept divin ipsa antecedenter praeueniendo, veut-elle dire que Dieu, loin d'englober effectivement les contraires dans une unité, ne fait que les praeuenire, être pour ainsi dire en avance sur eux? On ramènerait par là la pensée théologique de notre auteur à celle commune dans la scolastique. (Mariano Álvarez signale à ce propos la superficialité des tentatives exégétiques visant à ravaler de la sorte la philosophie cusanienne.) Non, le sens de ce praeuenire est celui d'un contenir effectif, mais d'une façon plus excellente, au lieu d'être, comme dans la Scolastique (si l'on en excepte toutefois la branche scotiste, dont les thèses sont plus nuancées), celui de contenir quelque chose de plus excellent qui toutefois se verrait appliquer, analogiquement, le même terme, faute de mieux.
Je vais commenter par la suite (dans la Section suivante) le caractère de non contradicentia que les contradictoires auraient en Dieu. Pour l'instant, arrêtons-nous encore à d'autres déclarations du Cusain où il est fait état d'une applicabilité à Dieu des prédicats opposés. Dans B (II, 48), Nicolas nous dit:
Nous y retrouvons la même chose: loin d'être inapplicables à Dieu, les contradictoires s'y trouvent tous en fait fondus dans la simplicité divine, encore que ce soit d'une manière toute particulière, antequam sint duo contradictoria. (Quant à savoir pourquoi la coïncidence concernerait les «minima des contradictoires», le contexte nous aide à entendre par là qu'ils coïncident avec leurs maxima respectifs: en effet, que le minimum d'une détermination coïncide avec le minimum de sa contradictoire, cela revient à dire que le minimum de la détermination en question coïncide avec son propre maximum.)
Lorsque Nicolas, dans VS, nous dit (I, 58) que Dieu est antérieur à toute différence, à celle de l'acte et de la puissance, à celle de la lumière et des ténèbres, voire même à celle de l'être et du non-être, du quelque chose et du rien et aussi à la différence entre la différence et l'indifférence, il appert que notre auteur conçoit en Dieu tous ces opposés; car autrement, comment et en quoi serait-Il «avant», p. ex., la différence de l'être et du non-être, ou celle de la différence et de l'indifférence?
Si de tels termes ne pouvaient lui être appliqués -- ni avec ni sans vérité --, ce qu'ils expriment ne serait nullement en Dieu: ni comme distinct, ni comme identique. Or il est plus que douteux que tout ce que Nicolas veuille dire par là soit, purement et simplement, que, de tels prédicats ne pouvant s'appliquer en principe qu'aux créatures, qui sont après Dieu, Dieu, qui est avant ses créatures, est aussi avant les déterminations signifiées par les prédicats --, donc avant toute relation entre elles. Car dans ce cas, il n'y aurait aucune raison de relever le fait que Dieu est avant la différence entre les déterminations -- on pourrait, on devrait même pour prévenir tout malentendu, préciser qu'Il est aussi avant l'indifférence entre elles. Si l'on tient à dire que Dieu est avant la différence entre deux prédicats, c'est, sans doute, qu'Il est antérieur à la différence entre eux comme prédicats appliqués ou applicables à Dieu lui-même.
Pareillement, le Cusain affirme (DI, I.339) que Dieu est la maximalité, l'unité absolue, qui devance (précède) et réunit absolument les choses les plus diverses et éloignées l'une de l'autre, comme c'est le cas des contradictoires, dont il n'est pas de terme moyen; une maximalité qui est absolument ce qu'est chacune des choses; en Lui donc toutes les choses sont l'Absolu maximal lui-même sans pluralité, et ce de la façon la plus simple, sans distinction aucune.Note 6
Est-il trop audacieux d'y voir une explication de la façon dont notre philosophe comprend la `praevenientia' des choses finies et de leurs déterminations chez Dieu? Les déterminations sont en Dieu praeventa: cela veut dire qu'elles y sont unies aux autres déterminations -- y compris donc à leurs contraires respectifs -- et, par surcroît, identifiées entre elles et à Dieu lui-même.
La «praevenientia» ne signifie donc pas que Dieu soit simplement avant les déterminations de façon à en être privé --, quand bien même une telle privation serait conçue comme ressortissant, non pas à un manque, à une insuffisance, mais à un excès ontologique de Dieu, à la suite duquel Il ne serait pas susceptible de posséder les déterminations en question: il n'empêche que, s'il en était ainsi, Dieu se trouverait par là incapable de les posséder et, dès lors, Il en serait écarté, privé, encore que ce fût une privation toute particulière. Le Tout-Puissant ne pourrait même pas ressentir en Lui-même la possession d'une seule des déterminations -- chaque détermination en effet s'opposant à d'autres; Il ne pourrait pas se savoir sachant; du reste, Il ne serait point tout-puissant, car il s'agit là d'une détermination applicable -- au sens large -- aux créatures, puisqu'elles ne sont pas toutes-puissantes.
A tel point il est vrai que Dieu possède toutes les déterminations que le TP (II, 348) nous dit que nullum esse de ipso negatur, puisqu'Il est formarum omnium perfectissima forma (TP, II, 356). Plus nette encore est cette déclaration tranchante du ADI (I, 536): à Dieu, absolutissimae et perfectissimae atque simplicissimae formae nullum esse abesse potest, quoniam dat omne esse.
Le vieux principe selon lequel la cause doit contenir la perfection de l'effet est pris à la lettre par notre philosophe: Dieu, cause de tout, donateur de tout être, de toute perfection et imperfection, doit contenir ou posséder ce qu'il donne. Non pas eminenter, comme le disait la tradition scolastique, mais formaliter; ce qui veut dire qu'il contient ces déterminations mêmes qu'Il confère à ces créatures, mais d'une manière plus excellente, divine, puisqu'en Lui les déterminations sont identiques entre elles et à Lui. Que c'est bien là le sens du passage cité, c'est ce que prouve cette déclaration, quelques lignes plus bas (ibid.):
Loin d'être privé des déterminations des choses finies, Dieu les possède donc toutes, à telle enseigne que voir Dieu n'est que voir toutes les choses, toutes les déterminations (le neutre latin `omnia' nous enjoint d'y trouver les deux lectures à la fois: toutes les choses, toutes les déterminations), mais sans mesure, sans pluralité, sans nombre, sans poids ou proportion harmonique: les déterminations y sont dans la démesure, identifiées et par suite sans nombre, sans altérité.
(Qui plus est: non seulement Dieu possède toutes les déterminations possédées en fait, actu, par les choses, mais il possède même, en acte, toutes les déterminations simplement possibles: DI, I, 210: `Deus ita est unus, ut sit actu omne id, quod possibile est'.)
Mais que deviennent alors l'opposition, la pluralité, l'altérité, qui, elles aussi, sont après tout des déterminations des choses? Il en est comme de n'importe quelle détermination: elles sont en Dieu sans opposition, sans altérité, sans pluralité. D'où les formules, souvent employées par notre philosophe: en Dieu il y a contradictio absque contradictione, oppositio sine oppositione, alteritas sine alteritate, et ainsi de suite. Nous aurons dans la Section suivante de cet essai l'occasion de nous interroger davantage sur l'un de ces passages, puisqu'il s'agit là d'élucider en quel sens les contradictoires en Dieu ne se contredisent pas. Néanmoins, considérons dès à présent l'un de ces textes (VD, III, 148-50):
Si la c.o. en Dieu est donc sans opposition, c'est que les imperfections en Dieu -- qui ne saurait en être privé puisqu'il serait par là affecté d'un manque de certaines déterminations --, identifiées qu'elles s'y trouvent à leurs contraires, c'est-à-dire à des perfections, n'y sont pas des imperfections. (En Dieu, selon DI, I, 276, imperfectio est infinita perfectio et possibilitas infinitus actus, et ita de reliquis.) Ce que nous disons de Dieu dans cette élévation intellectuelle -- qui pour nous n'est vraiment intuitive que dans des instants d'élan mystique, ne dépassant pas autrement le caractère conjectural de la transomption, propre à la d.i. -- implicat contradictionem.
Il ne s'agit donc pas d'une captation de quelque chose qui, étant exclusivement au-delà du champ d'application des opposés, ne saurait par là même être ni contradictoire ni non-contradictoire. Au contraire, la contradiction caractérise Dieu positivement.
Mais une contradiction où les termes indiquant l'imperfection dénotent, certes, la même détermination qu'ils dénoteraient dans tout autre contexte, s'y trouvant cependant réalisée dans ce cas de façon à être, de par son identité à la perfection qui lui fait pendant -- et qui s'y oppose --, une perfection elle-même. C'est en ce sens que -- comme nous le verrons dans la Section 4 -- Dieu est au-dessus de (ou au-delà de) la coïncidence des contradictoires: il est une c.o. qui est déjà par-delà soi-même, pour autant qu'en elle la ténèbre n'en est pas une, non plus que la fin n'y est une fin, que la contradiction n'y est contradiction. Ce qui ne veut pourtant pas dire (attention!) que ce que nous appelons `contradiction' n'y désigne pas une contradiction, et ainsi de suite --, c'est-à-dire que les termes y figurent dans un sens analogique ou bien carrément équivoque. Non pas! Mais ce que nous appelons `contradiction', que ce soit en parlant de Dieu ou de n'importe quoi d'autre, c'est bien une contradiction; seulement en Dieu la contradiction -- qui bien entendu est ce qu'elle est: une contradiction -- est, tout à la fois, une non-contradiction; la coïncidence, une non-coïncidence.
Nous affirmons donc dans la théologie cusanienne ce que nie le principe de n.c. Et par là nous nions le principe de n.c. D'autant que, comme nous allons le voir bientôt (Section 5 ci-dessous), la négation est encore plus précise (ou moins imprécise) en parlant de Dieu; il est donc plus exact de dire que Dieu est non-non-contradictoire que de dire qu'Il est contradictoire; mais ce disant, nous venons, on ne peut plus expressément, de nier le (ou une instance du) principe de n.c.
Pour clore cette Section, je me permettrai de relever encore ce que Nicolas nous dit à la fin du passage qui vient d'être cité: Dieu comprend ou englobe tout, c'est-à-dire: Il possède toute détermination; seulement Il le fait de telle sorte qu'en même temps il n'en possède aucune. (Cela fera l'objet d'un éclaircissement dans la Section finale de cette étude.)
Section 3.-- En quel sens les contradictions en dieu ne se contredisent pas?
La raison, comme Nicolas la conçoit, ne saurait se départir de ses principes clés, qu'Aristote n'a fait que codifier ou formuler précisément: ceux de n.c. et du tiers exclu. Plus que cela: la raison est incapable de se hisser au plan du réel où les principes logiques coïncident avec leur négation, se trouvant par là être tout à la fois vrais et faux. C'est la tâche de l'intellect que d'y atteindre dans l'altérité conjecturale de la d.i. -- lorsqu'il s'agit de notre intellect humain, différent de Cela même qu'il est appelé à entendre, d'un Objet donc qui lui demeure étranger et hors de portée. Il s'ensuit que nous y atteignons sans y atteindre, ce qui justement fait des conjectures de la d.i. une connaissance qui n'en est pas une, un savoir qui ne nous est imparti que pour autant seulement que nous apprenons notre propre ignorance de l'inattingible, l'atteignant par là même d'une façon qui défie les règles de la raison.
Il faut avoir présent à l'esprit que ce que l'intellect exige, la reconnaissance de la c.o., est cela même que la raison exclut de telle façon, par surcroît, que tout le procédé rationnel, logique, consisterait exclusivement à appliquer le principe de la contraposition de façon à affirmer ce dont la négation entraînerait une contradiction ou vice versa: dans DC (Il, 86-8), Nicolas dit à un lecteur que, si on lui demande pourquoi (il affirme qu')une vérité quelconque de la géométrie, ou de la mathématique en général, est effectivement vraie,
Dès lors, la méthode rationnelle, application de la logique aristotélicienne, ne consisterait qu'à «éviter la contradiction contredisante», que le contexte très clairement identifie à la coïncidence de la contradiction, c'est-à-dire à la c.o. C'est bien pourquoi notre philosophe (ibid., p. 88) nous dit qu'il a essayé de faire avancer notre connaissance en affirmant une thèse inattingibilem atque inadmissibilem propter iam dictam coincidentiam uitandam.
Nicolas regarde le principe de n.c. non seulement comme une règle du raisonnement, mais comme une véritable loi du réel -- dans la région tout au moins où il s'applique sans contradiction (c'est-à-dire sans que sa négation s'applique elle aussi). Il nous dit (DC, Il, 84) que les étants sensibles subsistent comme ils le font parce que si aliter essent coincidentiam ipsam subinferrent.
Or, pareille coïncidence, exclue du domaine du sensible, est bel et bien vraie dans un domaine infiniment plus haut: celui de l'Infini. Dans l'Infini, d'après notre philosophe, même les vérités mathématiques se trouvent être fausses en même temps qu'elles gardent leur vérité; car dans l'Infini le pair et l'impair coïncident, de même que les lignes droite et courbe, tant et si bien que même les vérités arithmétiques s'y trouvent être niées.
Nicolas ne fait donc pas un reproche à ses adversaires aristotéliciens d'opposer la c.o. au principe de n.c. (Au contraire, lorsque dans un passage du B. (111, 48-50), il relève que, non pas un péripatéticien quelconque, mais Aristote lui-même a refusé d'admettre une c.o. sur la base du principe logique de n.c., Nicolas emploie le verbe `ostendit': Aristote montre donc que le principe de n.c. exclut qu'il existe dans le réel une c.o.; il ne commet par là aucun sophisme.) Les aristotéliciens ne s'y trompent pas.
Ils ne tirent pas à tort leur conséquence. Ce qui est fautif, c'est le principe de n.c. Fautif- hâtons-nous de le préciser -- en ceci seulement: ce principe est vrai partout, mais dans le domaine de l'Infini sa vérité est restreinte, accompagnée qu'elle y est de la vérité de la négation du principe. Le seul domaine où il règne sans partage ni borne, c'est celui du fini. Des vérités arithmétiques telles que 3 + 2 = 5 cessent donc (DC, 11, 80) d'être seulement vraies -- vraies à l'exclusion de leurs négations respectives -- dans le domaine de l'intellect, qui avance intellectualiter... per contradictoriorum copulationem (DC, 11, 24).
Si les contradictoires ne se contredisent pas en Dieu, c'est que, sans rien perdre de leur nature, sans pour autant devenir affadis, émoussés, avachis, aplatis ni même infléchis, ils se trouvent confondus en Lui. Et c'est pourquoi affirmationi in ipso non opponitur negatio (TP, II, 284). (Comparons à cela cette déclaration de VS, I, 64, 66: puisque Dieu n'est différent de rien, non est aliud ab alio, les philosophes qui jusqu'ici hunc campum non intrarunt, in quo solo negatio non opponitur affirmationi, ont manqué le divin et par là failli à leur quête. Et le Cusain d'ajouter: `Extra hunc campum negatio affirmationi opponitur, ut immortale mortali, incorruptibile corruptibili, et ita de omnibus. Solum li non aliud excepto. Quaerere igitur Deum in aliis campis ubi non reperitur, vacua venatio est. Non enim est Deus qui alicui opponitur'.)
La négation ne s'oppose pas à l'affirmation: ce n'est pas à dire qu'à l'affirmation et à la négation des succédanés se soient substitués entre lesquels il régnerait une meilleure entente; mais c'est, au contraire, que l'affirmation et la négation, tout en y gardant leur pouvoir respectif, leur mordant, voire même leur incompatibilité mutuelle, y sont néanmoins identifiées, en sorte que par là même leur opposition, sans pour autant cesser d'exister ou d'être ce qu'elle est, y est muée en union, en égalité, en concorde, en coïncidence.
Dans la sphère intellectuelle donc -- celle qui d'une façon ou d'une autre se hisse à la c.o. -- une détermination incompatibile non habet oppositum (DC, II, 24): ses opposés, en effet, si incompatibles qu'ils soient avec elle, deviennent là, tout à la fois, compatibles avec elle, puisqu'ils y sont tous identiques. C'est pourquoi Dieu ne s'oppose à rien: quia non est plus aliquid quam omnia (DI, I, 282). Une chose finie se distingue des autres par les déterminations qu'elle a et par celles qu'elle n'a pas. Ce n'est pas le cas de Dieu. C'est pourquoi (DC, II, 20) on ne peut, à proprement parler, soulever une question à propos de Dieu, puisque:
En Dieu, par conséquent, rien n'est exclu, rien n'y est réalisé ou possédé à l'exclusion de quelque chose d'autre. Si l'on objecte que par là même quelque chose est en train de se voir exclu, à savoir cette façon d'être par laquelle une détermination en exclut une autre, la réponse est, bien évidemment, que la façon elle-même, pour autant qu'elle est quelque chose d'attribuable, une détermination, est aussi possédée par Dieu dans tout son essor, dans la plénitude et la vivacité dont elle est capable; seulement, elle n'est pas réalisée en Dieu de la façon dont elle l'est dans les créatures -- d'une façon qui se trouve être ni plus ni moins qu'elle-même. En effet: cette détermination-là est en Dieu identifiée aux autres, alteritas sine alteritate, quia est alteritas quae identitas.
Nous attribuons donc à Dieu des attributs positifs suivant les significations propres des mots, différentes de celles des autres mots (VD, III, 102). Il n'y a pas à redire; mais il faut (ibid.) ne pas oublier que habere Dei est esse et movere est stare et currere est quiescere et ita de reliquis attributis, puisque ipse est absoluta ratio in qua omnis alteritas est unitas et omnis diversitas identitas, si bien que la diversité de raisons prout nos diversitatem concipimus in Deo esse nequit: ce qui veut dire, non pas que cette diversité qui, elle, est comme nous la concevons, ne saurait pas être en Dieu, mais ceci: que cette diversité ne saurait pas être en Dieu comme nous concevons la diversité (l'opérateur de négation y a une portée large).
Pour clore cette Section, examinons enfin un passage du NA (Il, 530-32) où Nicolas critique la position du Stagirite:
La fin du texte cité est susceptible de plus d'une lecture. En voici une probable: `il [Aristote] aurait vu la contradiction (qui est) avant les extrêmes qui se contredisent, donc la contradiction (qui est) avant celle qu'on appelle contradiction'.
Une contradiction existant avant les extrêmes contradictoires n'est pas -- nous le savons déjà par la Section précédente -- une contradiction telle que, lorsqu'elle est, les extrêmes n'existent pas encore du tout; car elle manquerait alors de ces extrêmes, elle ne serait pas du tout contradiction: elle serait purement et simplement non-contradiction. Non: la contradiction avant les extrêmes contradictoires, c'est la contradiction où les extrêmes se trouvent, en même temps que contradictoirement opposés l'un à l'autre, unifiés et partant compatibles, non opposés. La contradiction en question précède ainsi les contradictoires. elle précède leur contradictorialité, puisqu'en elle ils ne sont mutuellement contradictoires que pour autant que, tout à la fois, ils sont non contradictoires.
Si donc Aristote a sombré dans l'erreur de croire que l'affirmation et la négation sont toujours (absolument) incompatibles, et que par suite on ne peut jamais affirmer ce que l'on nie, s'il s'est à tort cramponné de la sorte à la voie de la raison, comme s'il n'y avait pas une voie plus haute, c'est que, craignant toujours les régressions à l'infini (voir P, Il, 222), il a oublié de s'interroger sur la contradiction de la contradiction; car justement la contradictio absque contradictione n'est rien d'autre que la contradiction de la contradiction: un principe de la contradiction qui la rend ce qu'elle est, contradiction donc, mais qui est par rapport à elle-même ce qu'elle est en elle-même, c'est-à-dire: une contradiction.
La contradiction sans contradiction est donc la contradiction qui contredit la contradiction -- une contradiction réflexive, qui, en même temps qu'elle se contredit (et qu'elle contredit de la sorte toute contradiction), devenant par là contradictoire vis-à-vis d'elle-même et de toute contradiction, cesse automatiquement d'être contradiction, puisque, se contredisant, elle contredit précisément la contradiction (elle contredit donc la contradictorialité de la contradiction), ce qui veut dire qu'elle se pose comme non contradictoire. Contradiction non contradictoire, contradiction avant la contradiction; mais contradiction, après tout: donc contradiction qui est contradictoire sans l'être. Ce qui, jaugé à l'aune d'une logique aristotélicienne, serait un pur paradoxe semblable à celui de Russell, cela même se trouve être ici l'expression d'une vérité ineffable -- ineffable, mais tout à la fois, contradictoirement, non ineffable, sed supra omnia effabilis: DA, I, 304.
Section 4.-- Au-delà de la coincidence des opposés (c.o.): Le mur du paradis
Nous avons vu que le Cusain exprime la c.o. au moyen de deux sortes de formules: des contradictions (de la forme « x est f et x n'est pas f») et des neutrodictions (de la forme «x n'est ni f ni non-f» -- qui normalement seraient regardées comme équivalentes à des formules du genre: « Ceci n'est pas vrai: ou bien x est f ou bien x n'est pas f»). Ce qui doit maintenant retenir toute notre attention, c'est que, tant qu'à vouloir ranger sur deux plans différents les contradictions et les neutrodictions, vu les scrupules plus cuisants, ou le plus grand malaise, qu'on éprouve apparemment face aux contradictions, on serait tenté d'accorder aux neutrodictions un statut en quelque sorte avantageux par rapport aux contradictions, comme si elles pouvaient approcher mieux de la vérité.
Or, n'est-ce pas précisément ce qu'a fait Nicolas lui-même dans le DC? Car non seulement il est de fait que le Cardinal s'exprime plus souvent, là comme ailleurs, par neutrodictions que par contradictions, mais, de surcroît, dans cet ouvrage, en effet, il distingue deux unités supérieures: la divine et l'intellectuelle. La première serait caractérisée par un absolution ueritatis conceptus (DC, Il, 22) qui ambo abucit opposita, disiunctive simul et copulative, à telle enseigne qu'à une question quelconque sur Dieu la réponse la plus infinie, la plus simple, la plus absolue, la plus haute, la plus conforme ou adéquate sera celle qui dit quod ipse nec est nec non est atque quod ipse nec est et non est (ibid.).
A cette unité divine, par rapport à laquelle il n'est coniectura de ipso verissima quae admittit affirmationem cui opponitur negatio aut quae negationem quasi veriorem affirmationi praefert (ibid., p. 20), notre philosophe oppose l'unité, apparemment subordonnée à la première, propre à la région intellectuelle ou radicale dans laquelle copulantur igitur in eius simplicitate radicali opposita ipsa indivise atque irresolubiliter (ibid., p. 22), les contradictoires s'y trouvant ainsi unis par une connexion sans disjonction (in ipsa illa unitate radicali non disiungitur, p. 22).
Je ne peux pas, dans les limites de cette étude, me livrer à une analyse herméneutique exhaustive de pareille dualité d'unités (un examen plus poussé peut être trouvé dans (P:2)). Je me bornerai donc à indiquer qu'il y a deux interprétations apparemment erronées.
Pour la première (proposée par Mariano Álvarez, dans (A), p. 54), Dieu, qui en Lui-même est au-delà de toute contradiction (puisque, comme Cet interprète le soutient -- voir ci-dessus -- les opposés ne s'appliquent à Lui ni avec vérité ni avec fausseté), nous apparaîtrait comme contradictoire; fausse apparence donc, qui ne refléterait point l'être même de Dieu. Dés lors, l'unité intellectuelle serait l'unité de Dieu non pas en Lui-même mais tel qu'Il nous apparaît, c'est-à-dire la fausse apparence dérivée de notre façon humaine de concevoir, de nos concepts finis -- soit de notre entêtement à appliquer à Dieu des prédicats ou des concepts dont le domaine se réduirait au fini.
La deuxième interprétation (proposée par A. Bonetti dans le chap. 3 de (B), pp. 61ss) reconnaît au contraire que l'unité intellectuelle est celle propre à une région du réel, ayant par là un sens ontologique et non pas seulement gnoséologique, comme ce serait le cas d'après M. Álvarez; or, Bonetti ne reconnaît pas le caractère divin de ladite région, n'y voyant donc que la zone la plus haute du créatural.
L'interprétation gnoséologique de l'unité intellectuelle du DC est à rejeter pour trois raisons:
1) l'ouvrage rend on ne peut plus clair qu'il s'agit là de l'unité caractéristique d'un domaine du réel où se trouvent les intelligences, donc les anges, domaine qui s'y voit accorder les trois noms de `regio intellectis', de `primus mundus' et de `tertium caelum';
2) rien ne saurait apparaître de Dieu, si ce n'est quelque chose qui soit vrai de Lui; ce qui apparaît est ce qui uidetur, c'est-à-dire ce qui est vu: Nicolas -- après avoir dit ailleurs que Dieu est omnia quae uidentur (comment ne le serait-Il pas, Lui qui est omnia tout court, voire même omnia quae esse possunt?) -- s'exclame dans VD, III, 98: Primo loco praesupponendum esse censeo nihil posse apparere circa uisum iconae Dei quin uerius sit in uero uiso Dei: plus vrai donc: la façon seule d'y être distingue ce qui paraît, comme il paraît, de ce qui s'y trouve, comme il s'y trouve;
3) comme nous le verrons dans la Section finale de cette étude, les deux caractérisations respectives des deux unités, divine et intellectuelle; sont en vérité seulement deux approches différentes d'une seule et même unité.
Quant à l'autre interprétation, elle méconnaît la troisième raison qui vient d'être invoquée, ainsi que beaucoup d'autres indices -- que j'ai examinés dans (P:2) -- militant en faveur d'une identité entre les deux unités: l'unité suprême serait l'unité supradivine de la nature même de Dieu; l'unité intellectuelle, celle où, par la procession du Verbe dans l'intellect de Dieu, c'est-à-dire par le jaillissement de l'égalité dans l'unité, il résulte dans l'être même de Dieu une dualité, résolue en trinité par le lien (connexio) entre les deux pôles de l'unité et de l'égalité, -- mais une pluralité qui, en Dieu, n'est qu'unité (cf. P, Il, 328: Neque trinitas esset perfecta nisi sic esset una quae unitas), en vertu de la parfaite identité sans faille de toutes les déterminations dans l'unité intellectuelle de Dieu.
Toujours est-il que le Cusain emploie effectivement et souvent, à partir du DC, des expressions suggérant que Dieu serait `au-delà de' (ultra) ou `au-dessus de' (supra, super) la c.o. Mariano Álvarez y voit des indices clairs en faveur de son interprétation: la c.o. constituerait le mur du paradis, ce que la divinité exhibe à notre regard, tandis que l'être véritable de Dieu ne se trouverait qu'au-delà. Examinons plusieurs de ces textes. Tout d'abord, l'expression `ultra coincidentiam' et d'autres semblables foisonnent dans VD.
Or, nous l'avons constaté, Nicolas y soutient que Dieu ne peut paraître que comme ayant des déterminations qu'Il a effectivement (n'oublions pas ceci: Visus tuus, Domine, est essentia tua (VD, III, 128). Dans ces mêmes passages des chapitres 9 à 13, notre philosophe parvient, ce me semble, à nous communiquer clairement sa pensée: il faut bien intrare calliginem et admittere coincidentiam oppositorum (p. 132), non pas comme un pas nécessaire mais transitoire, c'est-à-dire non pas comme un stade au-delà duquel on devrait se passer d'une telle admission -- sans quoi le visage de Dieu ne se manifesterait pas à nous --, mais bien comme l'attitude définitive à adopter face à Dieu; s'il faut en effet gravir le mur de la c.o. et aller plus loin, une fois qu'on est entré au paradis, cela ne veut point dire que la c.o. ne soit qu'une enceinte, une palissade, au-delà de laquelle il n'y aurait plus de c.o., mais quelque chose d'autre. Au contraire! D'un côté, la c.o. n'est pas la clôture, mais elle a sa clôture. Elle remplit tout le domaine du paradis; domaine dont l'enceinte à franchir est justement l'admission de ladite coïncidence.
La c.o., c'est donc le paradis. D'autre part, le mur du paradis est la borne qui sépare la c.o. de la non-coïncidence. Or, qu'est-ce qu'une telle borne? Appartient-elle aux deux territoires qu'elle sépare? Constitue-t-elle une zone neutre, où par suite il n'y aurait ni coïncidence ni non-coïncidence? Dans un cas comme dans l'autre (mais en fait ne s'agit-il pas d'un seul et même cas, puisque la contradiction et la neutrodiction sont équivalentes?), elle ne se distingue pas du territoire même qu'elle sert à marquer et encercler.
(Et après tout, comment le paradis de Dieu pourrait-il être borné ou circonscrit, si ce n'est par lui-même, borne sans borne, borne infinie qui est borne de tout, y compris d'elle-même et qui, dès lors, n'est pas une borne, mais l'au-delà de toute borne?)
D'où il résulte que la relation entre le paradis et sa clôture (ou sa porte: ostium) n'est pas celle qu'il y a entre un champ quelconque et sa ceinture: le pourtour est déjà le paradis, l'orée et le centre ne font qu'un, puisque là-haut les opposés coïncident, le cercle et la circonférence se confondent. Cette lisière ubi posterius coincidit cum priore, ubi finis coincidit cum principio, ubi alpha et omega sunt idem (p. 136), là où illud quod uidetur impossibile est ipsa necessitas (p. 139) est en train de ceindre un territoire qui n'en diffère pas: circumdat locum ubi habitas in coincidentia.
Mais la c.o. est déjà au-delà d'elle-même. Elle est en effet la coïncidence avec la non-coïncidence. Plutôt donc que de parler, comme M. Álvarez ((A), p. 56), d'une Steigerung ihrer selbst à laquelle serait contrainte la c.o. konsequent gedacht, il me semble au contraire préférable de ne voir dans ces déclarations cusaniennes qu'une confirmation du fait que la c.o. coïncide avec son propre franchissement, avec son au-delà. Rien ne se passe en effet comme si après elle, une fois seulement qu'elle eût été dépassée, l'au-delà pût enfin se montrer. Puisqu'elle coïncide avec son au-delà, elle est elle-même son propre au-delà. Deus est superdeus.
La preuve en est que non seulement le Cusain continue de reconnaître jusqu'à la fin de ses jours la c.o. en Dieu, en dépit de ses affirmations sur l'ultra ou super coincidentiam, mais que le plus souvent les deux genres d'expressions se retrouvent dans le même texte côte à côte. C'est qu'elles sont toutes vraies, mais insuffisantes. Lorsqu'on dit `c.o.' tout court, on reconnaît la vérité des contradictions en Dieu; lorsqu'on dit `ultra', on reconnaît que la contradiction est, en Dieu, absque contradictione (on pourrait dire tout autant: ante, ultra, supra contradictionem), dans le sens qui a déjà été scruté dans cet article.
Section 5.-- La théologie copulative: conclusion
Le passage du DC sur les deux unités supérieures que nous avons eu a considérer dans la Section précédente, quelle qu'en soit l'interprétation qui doive être retenue à la fin, semble révéler en tout cas une préférence marquée pour la théologie négative, puisque la façon la plus infinie, la plus absolue, la plus précise, la plus élevée de parler de Dieu, c'est celle qui dit quod ipse nec est nec non est atque quod ipse nec est et non est (II, 22), tandis que ce n'est que par rapport à l'unité seconde, intellectuelle ou radicale, que l'on peut parler per contradictoriorum copulationem in unitate simplici, sans disjonction.
On pourrait dès lors soupçonner que la négation seule puisse caractériser l'unité suprême, divine ou supradivine (penitus diuina seu absoluta: DC, II, 16). Or, il faut bien noter ceci: dans ce même ouvrage, DC, notre philosophe tient aussi à rappeler: que in divina complicatione omnia absque differentia coincidunt, in intellectuali contradictoria se compatiuntur (II, 84); que Dieu neque enim tunc potius est lapis quam non lapis, sed est omnia (38); enfin que Dieu omnia est in omnibus puisqu'Il antevenit diversitatem, alietatem, oppositionem. Ce qui ne veut pas dire, d'après ce que nous avons déjà vu, que Dieu existe avant la pluralité et l'opposition, dans le sens d'une vie ou d'une existence dans une région suprême du réel où de telles déterminations n'auraient pas encore surgi ou ne seraient pas encore réveillées (Dieu étant alors contraint d'exister dans une espèce d'innocente simplicité sans dédoublement, sans complications d'aucune sorte -- et, au surplus, se voyant par là même réduit à être seulement le début, le simple commencement, ce qui précède et ne suit point, alors que Dieu n'est début ou principe que pour autant qu'Il est aussi fin -- B, III, 14; VD, III, 152; CT, III, 656-; Il n'existe avant les choses que pour autant qu'Il existe aussi après elles, comme leur résultat, portant donc en soi toute la riche diaprure du fini). Le sens véhiculé par l'affirmation cusanienne que nous venons de citer est au contraire celui-ci: Dieu ne possède l'altérité qu'identifiée à l'identité même de son être, compliquée dans son unité et confondue avec elle, donc avec Lui-même.
En outre, il ne faut pas oublier que, si le Cusain, dans le texte du DC, II, 84 que nous venons d'évoquer, oppose en quelque sorte l'unité supradivine où tout coïncide sans différence, à l'unité intellectuelle, où les contradictoires compatissent, ce n'est pas pour refuser à cette dernière l'unification totale et sans résidu des contradictoires, puisque dans cette unité intellectuelle copulantur igitur in eius simplicitate radicali opposita ipsa indivise atque irresolubiliter. La seule différence entre les deux unités est donc une nuance, une question d'accent -- qui naturellement n'existe en Dieu qu'identifiée à l'unité parfaite de son être.
Ce n'est même pas que l'unité suprême représente le côté de la négation, de la neutrodiction, l'unité intellectuelle représentant en revanche celui de la contradiction. Une telle approche, qui constituerait déjà un pas en avant considérable pour cerner de près la pensée de notre philosophe, et qui se ferait dans la reconnaissance du fait que neutrodiction et contradiction ne sont que les deux faces d'une seule médaille -- du reste équivalentes d'après la plupart des calculs logiques -- ne saisirait pourtant pas l'idée centrale que Nicolas s'efforce d'exprimer -- encore qu'il sache qu'elle n'est effable que pour autant qu'elle est, tout à la fois, ineffable --: les négations qui sont assertées vis-à-vis de l'unité suprême ne sont pas des négations courantes, puisque non est igitur conjectura de ipso uerissima quae admittit affirmationem cui opponitur negatio, aut quae negationem quasi ueriorem affirmationi praefert.
L'unité supra-divine exige donc que nos conjectures sur elle, pour qu'elles approchent le plus possible de sa simplicité complicative, ne privilégient ni l'affirmation ni la négation. Or pareille équidistance ne peut se faire que par deux moyens: ou bien le silence, ou bien un discours ayant recours soit à des contradictions, soit à des neutrodictions -- les unes comme les autres se tenant pareillement à ce postulat de la non-préférence. Des deux moyens, c'est le silence qui constitue l'attitude la plus pure, la moins dispersée dans la pluralité ou entachée par l'altérité (VD, III, 120).
Notre langage n'est pas parallèle au réel de la région suprême, i.e. à l'Infini, puisque la pluralité de nos vocables n'est pas résorbée dans l'unité, quand bien même ce que nous voulons dire par leur truchement est précisément cette identité du divers en Dieu (voir à ce propos les considérations très détaillées du CT, III, 696).
Un langage serait seul approprié où cette identité ou coïncidence se dirait au moyen d'une expression qui, tout en étant une, identique, d'un seul tenant, fût néanmoins, en même temps, composée de plusieurs expressions -- une composition sans composition, puisque les composantes n'en seraient pas moins confondues, identifiées entre elles et au message total qu'elles constitueraient ensemble.
Une telle parole est cependant l'apanage de Dieu, comme tout ce qui réalise une identité du divers. Nous ne faisons que nous la représenter dans l'altérité conjecturale. D'où l'insuffisance de notre parole humaine, inadéquate parce que non isomorphe au divin. C'est pourquoi il en résulte notre besoin de combiner cette parole au silence, comme deux approches coordonnées.
Or dans notre parole il y a des affirmations et des négations. Les dernières ressemblent davantage au silence. On estime que celui qui pose une affirmation dit plus que quiconque se borne à nier. Le Cusain assume, dans le passage du DC qui a donné lieu à cette controverse exégétique, pareille hiérarchie des phrases: les négatives y tiennent seulement la place du silence, ou plutôt: elles ne sont proférées que comme ce qui, sur le terrain même du langage, ressemble le plus à l'expression taciturne de l'ineffable.
On comprend dès lors ce que le Cardinal reproche à presque tous les théologiens de la uia moderna (DC, II, 36): que par leur application du principe du tiers exclu, ils affirment des choses qu'il faudrait tout autant nier et qu'ils nient des choses qu'il faudrait tout autant affirmer. En d'autres mots: qu'ils disent, que ce soit avec des affirmations ou des négations selon les cas, des choses qu'il faudrait aussi taire, donc «nier» dans le sens de s'abstenir d'énoncer.
La théologie à laquelle veut aboutir notre philosophe n'est pas le pur silence mystique. Elle ne nous condamne pas à nous taire, comme le Tractatus de Wittgenstein. Mais elle débouche bien sur une synthèse de silence et de parole, comme deux procédés coordonnés: sic loqui de Deo ineffabili est loqui loquela quae est super omnem loquelam et silentium, ubi silere est loqui (DPL, II, 664).
La parole nous demeure toujours indispensable. Elle n'est pas le tout, mais nous ne saurions nous en passer. Cette parole doit combiner, dans l'unité d'une théologie copulative, toutes les qualités, tout l'acquis des théologies disjonctive, négative, affirmative et dubitative. Mais la parole que nous proférons sur Dieu doit toujours se faire dans une sage retenue, n'oubliant jamais que Dieu est super omnem contradictionem, positionem et oppositionem, affirmationem et negationem (P, Il, 240), dans le sens, qui nous est devenu familier, de posséder tout cela, mais d'une façon plus excellente -- toute imperfection, toute altérité n'y étant que perfection et identité.
Les différentes théologies sont des modes variés d'expression dont le sommet et la synthèse sont constitués par la théologie copulatiua opposita affirmative connectens aut negative ipsa opposita copulative penitus abiiciens (FD, II, 636), qui assume l'assortiment bariolé des conjectures théologiques affirmatives, négatives, dubitatives et disjonctives par l'énonciation des contradictions comme des neutrodictions, mais tout cela ipsum ineffabile qualitercumque exprimere conantes, et, par suite, en accordant ainsi les paroles au silence, non moins parlant lorsqu'il est l'envers d'une théologie copulative. Car ce n'est que par une telle combinaison que nous pouvons approcher de Celui qui, tout en étant supra omnia effabilis (DA, I, 304), n'en demeure pas moins super omnem affirmationem et negationem ineffabilis (FD, Il, 638): une approche qui, incomprehensibiliter, est déjà une atteinte puisque par là seulement illud ipsum unum, etsi inattingibile remaneat... in omnibus attingibilibus attingitur (FD, II, 628).
Préparons-nous à conclure cette étude en longeant le chemin discursif du dialogue Idiota de sapientia (III, 460): à Dieu ne conviennent ni l'affirmation ni la négation parce qu'Il les réalise en une unité sans scission, alors que nos affirmations et nos négations sont plongées dans la division, dans l'altérité -- au-dedans comme au-dehors. C'est pourquoi, après avoir essayé une théologie disjonctive qui affirme de Dieu certaines choses et en nie d'autres -- n'ayant garde d'affirmer celles qu'elle nie ou vice versa --, on se décide pour une théologie négative, qui nie chacune des contradictoires -- la négation comme l'affirmation --, tout autant que leur disjonction et leur conjonction; c'est apparemment ce que Nicolas fait lorsqu'il nous parle de l'unité (supra)divine dans le DC; mais on s'aperçoit de l'unilatéralité de ce qu'on vient d'accomplir (puisque, comme le dit Nicolas ailleurs -- dans son sermon 213, voir (S), p. 100 --, Deo nulla conuenit negatio seu priuatio, sed sibi soli negationis negatio quae est medulla et apex purissimae affirmationis -- cf. TP, Il, 350: Tunc de eo uides nihil negari); on s'engage alors dans un roulis, dans un va-et-vient où tantôt on affirme tout de Dieu secundum positionem, tantôt on lui dénie tout secundum ablationem. Arrive enfin la théologie copulative, qui, tenant compte de ce que Dieu est supra omnem positionem et ablationem, réunit, par des contradictions et des neutrodictions, toute la force et la vérité partielle des approches précédentes, en affirmant par-dessus tout le Deus est supra: c'est une affirmation qui renferme toutes les négations; ou plutôt, c'est une pseudo-affirmation, une version affirmative de la négation, puisque negatio est principium omnium affirmationum (P, II, 252) -- et c'est pourquoi (ibid.) affirmatio melius est in negatione cum negatio sit eius principium. (Que la négation soit le principe s'explique probablement par ceci, qu'elle est plus proche de l'unité sans faille du silence parlant, invoquant ainsi de plus près l'Egalité Infinie où l'altérité est sans altérité.)
La négation est praegnans affirmationis. Bien entendu, tout cela ne se réalise que par et dans le Principe, quod est ante contradictionem: dans les créatures l'affirmation et la négation s'excluent (duo contradictoria non possunt aeque de eodem uerificari), car les créatures sont inégales par elles-mêmes, alors que l'unité de l'affirmation dans (et avec) la négation ne saurait avoir lieu que lorsque leur égalité n'est pas empêchée ou entravée par l'inégalité propre au sujet sur lequel elles portent.
En Dieu uniquement se réalisent tout à la fois, pour n'importe quelle détermination, les quatre alternatives envisagées par Nicolas dans sa formulation de ce qu'on pourrait appeler «le principe du cinquième exclu»: esse, uel non esse, uel esse et non esse, uel nec esse nec non esse (DI, I, 212), principe auquel notre philosophe semble accorder une plus incontestable évidence qu'à celui du tiers exclu.
Le TP (II, 294) exprime cette doctrine du Cusain par ce qui a l'air d'être une formule définitive: quant à savoir si Dieu possède une détermination ou ne la possède pas, ou s'Il la possède tout en ne la possédant pas, ou enfin s'Il ne la possède pas tout en s'abstenant aussi de ne pas la posséder, ce qu'il faut répondre, c'est, non pas ce que notre philosophe, un an seulement auparavant (dans P, II, 230), avançait comme une formulation préférable -- à savoir, melius tunc uides contradictoria negari ab ipso, ut neque sit, neque non sit, neque sit et non sit, neque sit uel non sit --, mais bien que, licet infinite melius, haec omnia sunt in Deo ipse Deus simplex.
La théologie copulative nous dit par là son dernier mot: omnia -- mais infinite melius: justement parce que toutes les déterminations sont identifiées et confondues dans l'unité divine, chacune est possédée par Dieu d'une façon infiniment meilleure que nous ne saurions le dire, puisque en Lui la pluralité est unité, la variété est identité.
Laissons à notre philosophe le mot de la fin (même s'il n'y fera que s'en remettre à la source dont il s'inspire le plus, le Corpus Aeropagiticum: cf. (V), pp. 114-5):
Références bibliographiques
[Note 1]
Outre les trois écrits mentionnés ci-dessus, voici d'autres ouvrages de notre philosophe qui seront cités par la suite: ADI (Apologia doctae ignorantiae, 1449); DA (De Deo abscondito, 1444); QD (De quaerendo Deum, 1445); FD (De filiatione Dei, 1445); DPL (De dato patris luminum, vers 1446), ID (les trois dialogues Idiota, 1450); VD (De uisione Dei, 1453); B (De Beryllo, 1458); P (De Principio, 1459); TP (le Trialogus de Possest, 1460); CT (Complementum theologicum); enfin VS, LG, AT (respectivement De uenatione sapientiae, De ludo globi, De apice theoriae, les trois de 1463). Dans tous les cas, le texte cusanien est cité comme suit: après le sigle renvoyant à l'écrit du Cusain dont il s'agit -- toujours cité d'après l'édition bilingue de Leo Gabriel ((K) dans les références bibliographiques à la fin de l'article) -- le chiffre romain renvoie au volume de ladite édition et puis le ou les chiffres arabes renvoient aux pages. (En outre, `docte ignorance' sera abrégé par `d.i.'; `non-contradiction' sera abrégé par `n.c.'.) Toutes les traductions françaises du texte cusanien figurant ci-dessous sont de la main de l'auteur du présent article.
[Note 2]
Unde cum nunc Aristotelica secta praevaleat, quae haeresim putat esse oppositorum coincidentiam, in cuius admissione est initium ascensus in mysticam theologiam, in ea secta nutritis haec via penitus insipida ... ab eis procul pellitur... (I, p. 530).
[Note 3]
Nec sequitur ex coincidentia etiam oppositorum in maximo hoc `venenum errons et perfidiae', scilicet destructio seminis scientiarum, primi principii ut impugnator elicit. Nam illud principium est quoad rationem discurrentem primum, sed nequaquam quoad intellectum videntem -- ut supra de hoc. (I, p. 576).
[Note 4]
Oportet enim in divinis simplici conceptu, quantum hoc possibile est, complecti contradictoria, ipsa antecedenter praeveniendo; puta non convenit in divinis concipere distinctionem et indistinctionem tanquam duo contradicentia, sed illa ut in principio suo simplicissimo antecedenter, ubi non est aliud distinctio quam indistinctio.
[Note 5]
... contraria simul in ipso coincidere non putabant possibile, cum se expellant. Unde ex primo principio, quod negat contradictoria simul esse vera, ipse philosophus [Aristoteles] ostendit similiter contraria esse non posse.
Beryllus noster acutius uidere facit ut videamus opposita in principio connexivo ante dualitatem, scilicet antequam sint duo contradictoria ... ita est de principio connexionis, in quo simpliciter coincidunt minima contrariorum.
[Note 6]
Est absoluta maximitas atque unitas, absolute differentia atque distantia praeveniens atque uniens, uti sunt contradictoria, quorun non est medium; quae absolute est id, quod sunt omnia... In quo omnia sunt sine pluralitate ipsum maximum absolutum simplicissime, indistincte...
[Note 7]
Si quis enim supra omnem disciplinam mathematicae... et omnem pluralitatem et numerum ac proportionem harmonicam omnia intuetur sine mensura, numero et pondere, profecto ille in quadam simplicissima unitate omnia videt; et sic videre Deum est videre omnia Deum et Deum omnia,...
[Note 8]
Tu Domine, qui es finis omnia finiens, ideo es finis, cuius non est finis et sic finis sine fine seu infinitus, quod aufugit omnem rationem. Implicat enim contradictionem. Quando igitur assero esse sic infinitum finem admitto tenebram lucem ignorantiam scientiam impossibile necessarium... Sed non possumus... non admittere infinitum. Admittimus igitur coincidentiam contradictoriorum super quam est infinitum. Coincidentia autem illa est contradictio sine contradictione sicut finis sine fine. Et tu mihi dicis Domine, quod sicut alteritas in unitate est sine alteritate, quia unitas, sic contradictio in infinitate est sine contradictione, quia infinitas. Infinitas est ipsa simplicitas omnium, quae dicuntur, contradictio sine alteratione non est. Alteritas autem in simplicitate sine alteratione est, quia ipsa simplicitas. ... oppositio oppositorum est oppositio sine oppositione ... In infinitate est oppositio oppositorum sine oppositione. Omnia enim includit et omnia ambit infinitas absoluta. ... Infinitas igitur sic omnia est, quod nullum omnium.
[Note 9]
Respondebis hoc esse propterea rationis uia necessarium, ....... alias contradictionis coincidentia sequeretur. Scire igitur ad hoc principium uitandae contradicentiae contradictionis omnia reducere est sufficientia omnium artium ratio.
[Note 10]
Omnis enim quaestio de quaesito oppositorum alterum tantum uerificari posse admittit, aut quid aliud de illo quaesito quam de alus affirmandum negandumue existat. Haec quidem de absoluta unitate credere absurdissimum est.
[Note 11]
Philosophus ille certissimum credidit negatiuae affirmatiuam contradicere, quodque simul de eodem utpote repugnantia dici non possent. Hoc autem dixit rationis uia id ipsum sic uerum concludentis. ... aiebat enim substantiae non esse substantiam nec principii principium; nam sic etiam contradictionis negasset esse contradictionem... Deinde interrogatus, si id quod in contradicentibus uidit, anterioriter sicut causam ante effectum uideret, nonne tunc contradictionem uideret absque contradictione, hoc certe sic se habere negare nequiuisset. Sicut enim in contradicentibus contradictionem esse contradicentium contradictionem uidit, ita ante contradicentia contradictionem ante dictam uidisset contradictionem...
[Note 12]
Dionysius saltat supra disiunctionem usque in copulationem et coincidentiam... ubi ablatio coincidit cum positione; et illa est secretissima theologia ad quam nullus philosophorum accedit neque accedere potest stante principio commune totius philosophiae, scilicet quod duo contradictoria non coincidant.